Combats de Rumersheim ou Münikhausen
le 26 août 1709

Relation des Combats
tirée de l'ouvrage de Vault sur la Guerre de Succession d'Espagne.
(1ere partie)

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Mais bientôt on s'aperçut que la démarche qu'avait faite M. le duc de Hanovre en amenant son armée devant ou tout au moins à porté des lignes de la Lauter, et les démonstrations qu'il faisait du côté de la Lorraine n'avaient point d'autre objet que d'attirer toutes les forces de M. le maréchal d'Harcourt en basse Alsace pour favoriser l'entreprise qu'il méditait sur le haut Rhin. Des lettres de M. le comte du Luc, ambassadeur du Roi en Suisse, et les nouvelles qui arrivèrent de tout côtés pendant la nuit du 18 au 19 ne laissèrent plus de doutes sur le projet formé par M. de Mercy de jeter un pont entre Huningue et Brisach, ou de passer le Rhin soit à Augst, soit sur le pont de Rheinfeld, et de traverser ensuite, au mépris de la neutralité le territoire des Suisses pour entrer en Alsace. Les Suisses mêmes, avertis de ce dessein, assurèrent qu'ils prenaient des mesures pour en empêcher l'exécution.
     Dans ce moment-là M. Desrozeaux n'avait à ses ordres que deux bataillons de campagne, neuf compagnies de grenadiers répandues dans les redoutes et les postes entre Huningue et Marckolsheim, environ quinze cents paysans, deux escadrons de cavalerie, trois de dragons de compagnie franche ; ce n'était pas de quoi s'opposer avec succès au corps des ennemis, qu'on assurait être de dix bataillons, quinze escadrons, trois cents chevaux et trois cents hussards détachés de l'armée.
M. le maréchal d'Harcourt conçut que rien n'était si insistant que de lui envoyer des renforts. Ce fut M. le comte du Bourg qu'il chargea de les conduire et d'aller prendre la direction des affaires dans la haute Alsace. Le 19 au matin il détacha de l'armée deux escadrons de cavalerie et trois de dragons, qui allèrent le même jour à Haguenau ; ils devaient le lendemain arriver à Strasbourg, le 21 à Marckolsheim, le 22 près de Brisach, le 23 à Ottmarsheim et le 24 sur les bords du Rhin vis-à-vis de Neubourg ; à ces hommes devaient se joindre trois cents hommes de la garnison de Vieux-Brisach.En même temps que M.le maréchal d'Harcourt fit cette disposition, craignant que M. le duc de Hanovre, tandis que le général Mercy agirait sur le haut Rhin, ne fit une attaque aux lignes de la Lauter, surtout à Hagenbach, il ordonna, le 19, d'évacuer ce poste dont les ennemis s'emparèrent aussitôt.
     M. le comte du Bourg, voyant que M. de Mercy avait sur lui plusieurs jours de marche, devança les troupes et se rendit de sa personne à Brisach le 21. La nuit précédente les ennemis avaient passé le Rhin à Rheinfeld au nombre de douze escadrons ; et, après avoir traversé le canton de Bâle et défilé sur le glacis de cette ville, ils étaient entrés en Alsace et se dirigeaient, en descendant le Rhin ; sur Ottmarsheim. Pendant ce temps, M. de Harsch, gouverneur de Fribourg, sorti de cette place avec trois mille hommes, tant d'infanterie que de cavalerie, cinq pièces de canon, les bateaux nécessaires pour un pont et quelques voitures chargées de farine, était arrivé à Neubourg. Dès que M. le comte du bourg eut connaissance de ces mouvements, il envoya ordre à M. Desrozeaux, qui était campé vis-à-vis de Neubourg avec deux bataillons et cinq escadrons de se retirer sous Brisach, où devaient arriver le lendemain les cinq escadrons qui venaient de l'armée. Comme il n'était plus possible de défendre le haut de l'Alsace, M. le comte du Bourg porta toute son attention à choisir un poste qui le mît en état de s'opposer aux courses que pourraient faire les ennemis du côté de Colmar et de Schlestadt. Il fallut aussi, dès ce moment, renoncer à la communication avec Belfort et la Franche-Comté et à celle de Belfort avec Strasbourg, qui cependant était la seule que l'on pût pratiquer avec quelque sûreté pour la correspondance avec la cour et pour les convois des différentes choses nécessaires aux besoins de l'armée, celle de la Lorraine étant fréquemment inquiété par les partis ennemis et ne pouvant se faire qu'avec lenteur à causes des escortes, qui, par cette, raison étaient indispensables.
      M. le maréchal d'Harcourt fut informé le 22 du passage du Rhin par les ennemis et de leur entrée en Alsace ; aussitôt il fit partir de l'armée quatre bataillons et huit escadrons et huit bataillons pour joindre en toute diligence M. le comte du Bourg, et lui envoya ordre de suivre le corps des ennemis, quelque chemin qu'il prît, et de le combattre partout où il pourrait le joindre pour le forcer à repasser le Rhin. L'armée ne fut plus composée alors que de trente-deux bataillons et de trente-six escadrons, aves lesquels M. le maréchal d'Harcourt resta dans les lignes delà Lauter. Jusque-là, l'armée ennemie qui lui était opposée n'avait fait aucun mouvement ; mais le 22 au soir il eut avis de différents endroits que les gros équipages étaient en marche pour passer le Rhin au pont de Schröck, et qu'à huit heures du soir, l'armée ayant détendu son camp, était en bataille, prête à marcher pour attaquer les lignes. Il fit sur le champ prendre les armes, et, imaginant que les vues de l'ennemi se portaient sur Lauterbourg, il s'y rendit le 23 à la pointe du jour. Les ennemis avaient déjà fait entrer de gros détachements dans l'île de Neuburgweier et de Hagenbach et, à huit heures du matin, on aperçut une colonne d'infanterie avec toute l'artillerie se dirigeant vers le Rhin qui était le côté par lequel on avait annoncé que l'attaque devait se faire ; cette colonne gagna la chapelle de Bergen en sortant des bois à la portée du canon des lignes et entra à sept heures du soir dans l'île de Neuburgweier ; la cavalerie marchait sur une autre colonne derrière l'infanterie ; toute l'armée passa la nuit sous les armes.
      Le lendemain, 24, on entendit dans le bois un grand bruit de coups de haches, ce qui fit présumer à M. le maréchal d'Harcourt qu'ils travaillaient à un abatis et que M. le duc de Hanovre ne se plaçait dans un terrain aussi serré et d'un aussi difficile accès que pour pouvoir détacher des troupes au-delà du Rhin : en effet, dans la position qu'il prit, ses troupes étaient séparées les unes des autres par des flaques et des bras du Rhin ; mais autant ces embarras lui étaient favorables pour se dégarnir sans se compromettre, autant rendaient-ils les débouchés difficiles, et M. d'Harcourt dans le cas de ne point craindre d'attaque inopinée de sa part ; c'est pourquoi ce général crut pouvoir affaiblir la gauche des lignes pour se mettre plus renforce à droite, et, le 24 au matin, il fit venir à Lauterbourg une partie des troupes, qui étaient entre cette place et Weissembourg, résolu de détacher des forces vers la haute Alsace à mesure que les ennemis e ferait passer à la droite du Rhin, et, si les circonstances venaient à l'exiger, d'y marcher lui-même avec toute l'armée en abandonnant les lignes et ne laissant à Lauterbourg que trois bataillons pour la garde de cette place. Ce fut dans cette occasion que, malgré le bon état de défense dans lequel étaient les lignes, il parut plus persuadé que jamais de leur inutilité, tant à cause de leur grande étendue que parce qu'on ne pouvait s'en éloigner sans y laisser un grand nombre de troupes et gêner par là les mouvements de l'armée : c'est ce qui lui fit juger que le salut de la haute Alsace devait être préféré à leur conservation.
      Les troupes qu'il avait détaché de cette armée pour aller aider M. le comte du Bourg à défendre cette partie de la province furent toutes rassemblées à Biesheim, près de Brisach, le 25, et réunies à celles que M. Derozeaux y avait amené de son camp près de Neubourg. Ce corps consista alors en sept bataillons, dont un composé de piquets et de grenadiers des garnisons de Strasbourg et de Brisach ; dix-huit escadrons, dont six de dragons et la compagnie franche de dragons de M. de Reignac. M. le comte du Bourg jugea que les ennemis étaient à peu près d'égale force; leur pont était fait à l'île de Neubourg et ils étaient campés dans l'île ayant le grand Rhin derrière eux. Ils n'avaient fait encore aucun autre acte d'hostilité que d'envoyer des mandements pour la contribution ; leurs partis s'étaient peu répandus du côté de Colmar et de Schelestadt ; ceux de M. le comte du Bourg les continrent: ils battirent même quelques-uns de ceux de M. de Mercy et firent des prisonniers. Dès que les troupes furent arrivées au camp de Biesheim, M. le comte du Bourg ne songea plus qu'à aller chasser les ennemis de l'île de Neubourg ou du moins à les empêcher d'en déboucher ; il n'attendit point le renfort de deux bataillons et de deux escadrons que M. le maréchal d'Harcourt fit partir de l'armée le 26 pour le joindre ; et ; ayant donné à) ses troupes seulement quelques heures de repos, il les mit en marche le 26 à trois heures du matin, se dirigeant sur le camp de M. de Mercy; mais ce général lui épargna une partie du chemin. En arrivant à peu de distance de la cense de Rumersheim, situé près du Rhin à environ quatre lieues de Brisach et une lieue et demie de l'île de Neubourg, il fut averti que M. de Mercy était sorti de cette île avec toutes ses troupes et qu'il marchait à lui. Il fit halte et mit ses troupes en ordre ; bientôt on aperçut les ennemis, et bientôt se décida le sort de l'Alsace par un combat dont l'évènement fut aussi avantageux pour les affaires du Roi que l'action fut glorieuse pour le général. Les deux lettes suivantes en renferment tous les détails

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Lettre de M. le comte du Bourg à M.Voysin, de Vieux-Brisach le 27 août 1709.

Je ne doute point que M. le maréchal d'Harcourt, auquel j'envoyai hier deux courriers de dessus le champ de bataille de Rumersheim ne vous ait mandé la victoire complète que la petite armée que j'ai l'honneur de commander remporta hier sur celle de l'empereur commandée par M. le comte de Mercy, plus forte que celle de sa majesté. Je mis en partant d'ici les troupes du roi en marche à trois heures du matin, j'arrivai un peu en deçà de Rumersheim avant midi. Faisant halte, étant en colonne pour rafraîchir le soldat, je vis l'armée impériale venir au-devant d celle de sa majesté; aussitôt je songeais à former la ligne ; je fut en bataille en même temps que l'ennemi, qui m'attendai. Je marchai à lui, le cavalier l'épée à la main et le soldat le fusil sur le bras avec défense de tirer ; le tout fut si exactement exécuté, qu'après que les troupes de sa majesté eurent essuyé le feu elles entrèrent dans celles de l'empereur l'épée à la main et la baïonnette au bout du fusil avec tant d'ardeur, que l'ennemi fut écrasé et ne pensa qu'à s'enfuir, si vivement poussé qu'il ne put se rallier.
     Il y a sur le champ de bataille plus de quinze cents morts des ennemis ; j'ai actuellement ; tant ici qu'à Neuf-Brisach, plus de deux mille prisonniers ; il en est resté dans les villages et dans les haies encore plus de cinq cents blessés qu'on ramène à tout moment, et quantité dispersé dans les bois qu'on ramasse aussi. Il y a colonels, lieutenants-colonels et quantité d'autres officiers dont je ne sais pas le nombre, qui sont aussi pris ; on en fera demain un état que j'aurai l'honneur de vous envoyer ; j'ai presque tous leurs drapeaux, tous leurs étendards, deux paires de timbales, quatre pièces de canon et toutes leurs munitions de guerre et de bouche. Les troupes du roi ont si ardemment chargé l'ennemi qu'elles ne l'on point quitté qu'il n'ait eu repassé le Rhin à Neubourg et cassé son pont de bateaux, que je fais actuellement retirer du Rhin, dont j'espère avoir plus des deux tiers. Je ne puis, monseigneur, asser louer MM. les comtes d'Anlezy et de Quadt, maréchaux de camps, pour leur grande sagesse et ardeur, de même que par leur capacité, qui mérite, si j'ose dire , un grade d'élévation par les services utiles qu'ils viennent de rendre au roi. J'en dis de même de MM. Derozeaux, de Marbeuf, Duvivier et Forsac, brigadiers, qui se sont en tous points distingués. La poste, qui va partir, me presse si fort, que je ne puis vous rendre un compte plus ample et je le remets au premier ordinaire, où vous trouverez que MM. les colonels et maréchaux de camp Fontaines, Clefmont, Tallard, Liotot et La Chaux se sont fort distingués, de même que M. de Conche, colonel réformé à la suite de Bretagne, qui est celui qui a le premier pris poste dans la redoute qui couvrait de l'ennemi sur le Rhin, et je l'envoyai hier rendre compte verbalement à M. le maréchal d'Harcourt de tout ce qu'il avait vu.

Ne vous arrêtez point, s'il vous plait, monseigneur à cette lettre pour tout le bien que j'ai à vous mander de MM. les officiers ; j'aurai l'honneur de vous en rendre un compte plus étendu et plus juste, ayant tous fait ce qu'il est possible d'attendre de plus courageux aussi bien que les soldats et cavaliers....
Le général Breiner à été tué sur le champ de bataille. Il arrive présentement un trompette de Fribourg pour savoir de nouvelles du général Mercy, qui n'est point encore arrivé audit Fribourg : il n'est point parmi nous, il n'a pas été reconnu parmi les morts ; aussi je crois qu'il s'est noyé ou sauvé au travers de la forêt de Haardt avec partie du régiment de Breiner, qui n'a jamais pu gagner le pont, et qu'il se retirera par la Suisse ou par la Lorraine.
M. de Saint Aulaire, colonel d'Enghien, a été tué, et M. de Saint Linière, lieutenant-colonel de Rennepont ; il n'y a que ces deux officiers principaux ; je n'ai pas l'état des autres, mais la perte de l'armée de sa majesté ne se montera pas à deux cent cinquante hommes, les officiers compris : le régiment de Rennepont est celui qui a le plus souffert.

J'ai laissé M. Desrozeaux à Neubourg avec cinq escadrons et deux bataillons avec ordre d'envoyer des partis partout dans ladite forêt de Haardt pour chercher tout ce qui s'y est sauvé, et aussi pour faire raser les ouvrages des ennemis dans ladite île de Neubourg et rétablir tous les postes le long du Rhin comme ils étaient ci-devant.

J'aurai l'honneur de vous envoyer les drapeaux et étendarts incessamment avec un plus ample détail et vous supplierai d'avoir la bonté de les présenter au roi.