Combats de Rumersheim ou Münikhausen
le 26 août 1709

Relation des Combats
tirée de l'ouvrage de Vault sur la Guerre de Succession d'Espagne.
(2me partie)

Lettre de M. le comte du Bourg à M. Voysin le 30 août 1709

...

Le 26, à trois heures du matin, partant de Biesheim, sous Brisach, je mis l'armée en marche sur trois colonnes : M. d'Anlezy y commandait l'aile droite et M. de Quadt celle de la gauche, et moi je marchais à la tête de l'infanterie, ayant pour avant-garde la compagnie de dragons de Reignac, et, à la tête de chacune des autres colonnes, un détachement de cinquante homes. Dans cette disposition, par une plaine parfaitement unie, nous arrivâmes sur un petit rideau, à un quart de lieue en deçà de Rumersheim, où je fis faire halte, après quatre grandes lieues de marche, pour faire reposer un peu le soldat et faire manger de l'avoine aux chevaux ; mais, monseigneur, je n'en eus pas le temps, parce que nous nous aperçûmes que toute l'armée ennemie était sortie de son excellent poste de l'île de Neubourg pour venir combattre celle du roi en plaine, ce qui nous fit grand plaisir par les difficultés que j'entrevoyais à la pouvoir déposter de ladite île de Neubourg :je suis même persuadé que nous n'en serions pas venus à bout.

    L'armée ennemie, qui m'avait vue pied à terre en colonne par les partis qu'elle avait devant elle, arrivait en bataille sur celle du roi diligemment ; je me pressai de faire prendre les armes et monter à cheval, et aussitôt marchant en avant je fis mettre l'armée de sa majesté en ligne. M. de Quadt vint me conseiller de me saisir d'une cense, nommée Hamerstatt, au coin d'un bois pour y appuyer ma droite ; je profitai vivement de son avis et y envoyai le bataillon de Liotot, qui est la principale partie du gain de cette bataille. Je vis que les ennemis poussaient un corps d'infanterie du côté de cette cense pour l'attaquer. J'y envoyai en toute diligence les dragons de Lautrec, commandés par MM. Derozeaux, brigadier, et de Lautrec, colonel, qui y mit pied à terre et soutint très courageusement attaque des ennemis qui fut vive. Pendant ce temps les deux armées s'approchant, celle de l'empereur fit halte, étendant sa droite pour prendre en flanc ma gauche, parce que les dragons de Bretagne qui devaient la tenir, suivant l'ordre de bataille, étaient encore en arrière, n'ayant pu s'étendre à cause d'une grosse haie qui serait le terrain. M'en étant aperçu, j'envoyai un aide de camp leur porter ordre de passer diligemment dans les intervalles de la cavalerie et de s'aller placer dans un petit terrain où la ligne aboutit un moment après en marchant en avant, ce qui fit que M. de Mercy, qui voulait déborder ma gauche, le fut par sa droite, et par conséquent pris en flanc : c'est dans cette occasion où MM. de Marbeuf et de Conche se sont fort bien distingués par leur bonne conduite et grand courage.

    Et celle de sa majesté marcha toujours jusqu'à ce qu'elle eût joint celle de l'ennemi, qui fut chargée en même temps de toute part avec tant de vigueur, que l'armée impériale fut emportée et si vigoureusement poursuivie par la cavalerie, qu'elle n'a pas pensé un moment se rallier.
M.d'Anlezy fit charger la droite, M. de Quadt la gauche et moi l'infanterie, qui entra baïonnette au bout du fusil dans celle des ennemis après avoir essuyé une décharge : cette infanterie impériale jeta toutes ses armes et nos soldats n'eurent chose à faire qu'à tirer, et moi qu'à apporter tous mes soins à empêcher les troupes de se débander et à faire reformer les bataillons, pendant que MM. d'Anlezy et de Quadt en faisaient de même avec MM. les brigadiers et mestres de camp chacun à leur aile.
M. le comte de Fontanier, qui avait suivi l'ennemi, coupa droit au premier pont sur un des bras du Rhin avec sa brigade composée des régiments de Lessars, Fontaines et Clefmont; M. de Conche, colonel réformé à la suite du régiment de dragons de Bretagne, arriva avec deux escadrons de ce régiment, passa le premier pont sur un des bras du Rhin, puis un second sur un autre grand bras, mêlé avec les ennemis, et arriva à la redoute sur le bord du grand Rhin, dont il se saisit.
J'avais heureusement trouvé M. de Marbeuf, qui, après avoir chargé en flanc et renversé la droite des ennemis, avait contenu son escadron, ce qui me fit grand plaisir, car j'appuyai la gauche de l'infanterie ; je trouvai de même à la droite le régiment de Montrevel, commandé par M. de la Terrade, lieutenant -colonel, qui s'et qui c'est infiniment distingué en cette journée, que je plaçai à la droite de l'infanterie ; pendant cet intervalle, les dragons de Lautrec remontèrent à cheval à la cense de Hamerstatt et vinrent se mettre en bataille devant l'infanterie, où M. Derozeaux, brigadier les amena, ayant laissé le bataillon de Liotot dans la cense de Hamerstatt pour garder les quatre pièces de canon de l'ennemi, celui du roi et les prisonniers qui étaient déjà faits.

    Étant dans cette situation, marchant doucement en avant, je fus averti que deux escadrons de Breiner de la gauche des ennemis avait pénétré dans nos derrières, je priai. M. de Marbeuf d'y envoyer son premier escadron, auquel je donnai ordre d'aller se poster auprès du bataillon qui était dans ladite cense de Hamerstatt, après quoi je fis encore marcher au pont du Rhin les trois escadrons de Lautrec, commandés par M.Derozeaux et de Lautrec, et ordonnai à l'infanterie de suivre doucement, et je m'en allai pour voir en quel état était toutes choses. En arrivant je trouvai que les ennemis canonnaient les dragons qui étaient dans l'île, bien embarassés par la quantité de chevaux qu'ils avaient pris, ce qui mit un peu de désordre et fit que, pour conserver leur butin, on ne put les contenir, et ils repassèrent le premier bras du Rhin ; je voulu les arrêter et faire retourner pendant qu'on les canonnait ; je n'en pus venir à bout, parce que le pont était long et fort rempli, ce qui me fit prendre le parti de les laisser déboucher, après quoi je les fis mettre pied à terre, et M. de Conche, à la tête repassa le pont et regagna la redoute qu'il avait été obligé d'abandonner. Pendant ce temps, j'avais envoyé quérir les grenadiers, qui arrivèrent, avec lesquels je m'allai saisir d'une autre redoute plus près du pont de l'ennemi, que nous trouvâmes rompu sous le poids des fuyards, ce qui en a fait noyer une infinité dans le grand Rhin de même que dans les bras précédents, où ils avaient été culbutés par la cavalerie. Cela finit la glorieuse journée pour les armes du roi et me donna grande satisfaction ....

Ils tirèrent quelques coups de canon de dessus la hauteur de Neubourg, où ils avaient six bataillons retranchés ...

... fit que M. le comte de Mercy, qui n'avait que quatre bataillons sur la hauteur de Neubourg, y envoya deux d'augmentation, en sorte qu'il n'en eut que huit en ligne pendant le combat ; douze escadrons de cuirassiers, quatre cents chevaux détachés de l'armée et quatre cents hussards qui nous ont fort incommodés, ayant pillé le peu de vivres que nous avions fait porter et grande quantité de chevaux de MM. les officiers d'infanterie qui avaient mis pied à terre; car, du reste, nous n'avons point perdu de bagages, les ayant fait laisser, gros et menu, dans l'île de Biesheim, sous Vieux-Brisach.

Ces hussards et deux escadrons de Breiner qui tenaient la gauche, n'ont pu regagner l'île de Neubourg et se sont dispersés dans la forêt de Haardt, regagnant du côté de la Suisse.

M. d'Anlezy vous rendra compte plus ample de tout ce qui s'est passé à sa droite, ... à la réserve d'une charge que je fis faire par le régiment de Forsac, dans laquelle M. de Forsac et M. de la Tremblaie ont fait des merveilles, ayant fait plier deux escadrons des ennemis qui voulaient prendre en flanc le régiment de Tallard, avec lequel j'avais débordé la gauche de l'infanterie ennemie, laquelle fut prise en flanc et écrasée ; c'est en ce moment que M. le comte de Tallard, le sieur de la Villardière, major et tout le régiment s'est fort distingué, de même que le sieur de la Villardière, major d'Enghien, qui commandait le bataillon, parce que le colonel en fut tué d'abord.

M. de la Chaux, à qui j'avais donné une brigade composée de deux bataillons d'Auxerrois et de son régiment, fit des merveilles, ...

J'envoie, monseigneur le comte de Fontaines vous porter, pour les présenter au roi, douze drapeaux et deux étendarts, n'en n'ayant pu ramasser que ce nombre : il est pourtant certain que j'en ai vu beaucoup davantage.

Le régiment de Clefmont a gagné une paire de timbales et la compagnie de dragons de Reignac une autre.

Il est rentré dans cette place quatre pièces de canons qui ont été prises par la brigade de M. de La Chaux. ....

Je vous serais, monseigneur, infiniment obligé si vous vouliez demander à sa majesté pour moi deux des quatre pièces de canon qui ont été prises: ces deux pièces de canons feraient un ornement à ma maison de campagne qui me serait assez agréable ; elles ne sont que de trois à quatre livres de calibre.