par Jean-Louis Vial

L'installation du campement de l'armée peut sembler complexe mais elle résulte d'un ensemble de règles dictées par l'état des troupes ( nombre de brigades, d'escadrons, de bataillons ) et surtout l'ancienneté tant des régiments que des capitaines des compagnies.

Dupain de Montesson à ce propos nous précise " Quand tous les régiments d'infanterie, de cavalerie et de dragons sont campés de manière à ce que chacun, suivant son ancienneté occupe la place qui est due à son rang, soit en première seconde ou troisième ligne; cela s'appelle être campé en ordre de bataille, parce que c'est dans le même ordre que l'on garde, lorsqu'on présente en plaine, bataille à l'ennemi ou qu'il vient lui même la donner ".

Le campement des troupes française s'établit donc hiérarchiquement de droite à gauche et d'arrière en avant du camp. Il se fait sur 2, 3 ou 4 lignes selon la nature du terrain. Les emplacements sont attribués par le maréchal général des logis de l'armée, la formation classique met la cavalerie sur les ailes, l'infanterie au milieu et la Maison du Roi en seconde ligne. Lorsque le maréchal des logis a déterminé l'emplacement du camp il charge les détachements d'infanterie, cavalerie ou dragons qui accompagnent l'avant-garde de délimiter avec de petits piquets fichés en terre les emplacements qu'occuperont chacun des bataillons ou escadrons, la largeur des rues, l'emplacement des tentes.

La veille de la bataille le campement est réduit au minimum les équipages restent sur les arrières, la disposition des troupes qui campent se fait selon l'ordre de bataille prévu. Ce qui permet à un ennemi bien renseigné de prévoir la veille de la bataille les mouvements tactiques envisagés par son adversaire.

Nous décrirons ici les dispositions générales du campement d'un bataillon d'infanterie française qui comprend 16 compagnies de fusiliers à 40 hommes et 1 compagnie de grenadiers de 45 hommes. Cette étude est tirée en particulier des ouvrages de Puységur, Dupain de Montesson, Ray de Saint-Geniès, Chenevière et de l'instruction du 17 février 1753.

Sur l'avant du bataillon sont tout d'abord disposés sur un même alignement les faisceaux d'armes, il se situent à peu près à 10 pas (9m 75) de la ligne des premières tentes appelée front de bandières. Les faisceaux sont placés vis à vis de chaque compagnies et recouverts du manteau de faisceau afin de protéger les armes des intempéries. Pour construire un faisceau le fourrier de chaque compagnie trace autour de son axe un cercle d'environ 8 pieds(2m 60) de circonférence pour y placer les fusils de sa compagnie, on creuse autour de ce cercle une rigole d'environ 3 pouces (8 cm) de profondeur et 1/2 pied (16,5 cm) de large, et l'on relève la terre en talus contre le faisceau,. on comble de gazon la rigole et on y plante au milieu de petits piquets de bois d'un demi pied de long pour soutenir la crosse des fusils et ainsi les isoler de l'humidité du sol. On plante au centre un piquet de 8 pieds de long et 8 pouces de tour sur lequel on tend le manteau d'arme fait d'une pièce de toile ou de coutil qui va former ainsi un cône. Ce modèle de faisceau d'armes ne se construit que pour les camps d'instruction ou de séjour, pour les camps de passage on garnis simplement la circonférence de branchages entrelacés sur lesquels reposent les crosses. Il y a un manteau d'armes par compagnie et un de plus par bataillon pour le piquet. Le manteau d'armes mesure 6 pieds de haut, un pied 9 pouces de rondeur dans la partie supérieure et 19 pieds de circonférence par le bas dont deux pour croiser l'ouverture. Les tentes et le manteau d'arme sont marqués en caractère noir du nom du régiment et du numéro de chaque compagnie selon l'instruction du 17 février 1753.

Sur la droite du campement du bataillon on trouve la compagnie de grenadiers, puis plus à gauche vient la compagnie colonelle puis celle du lieutenant-colonel si ce dernier commande une compagnie puis les autres compagnies de fusiliers. En campagne les régiments campent par brigade; la brigade est une formation regroupant les bataillons de deux régiments, le plus ancien régiment occupe la droite et son cadet la gauche, dans ce cas le bataillon situé à l'extrémité gauche de la brigade campe en colonne renversée, c'est à dire qu'à partir de la gauche vers la droite on retrouve la compagnie de grenadiers puis la colonelle puis la lieutenance.

D'après l'instruction du 17 février 1753 article III, les tentes de l'infanterie mesurent : 10 pieds 4 pouces ( 3m 35 ) de long compris le cul de lampe, 6 pieds ( 1m 95 ) de large et 5 pieds 8 pouces ( 1m 84 ) de haut elles sont soutenues par deux fourches de 10 pieds et une traverse de 8 pieds et tendues par 21 petits piquets, le nom du régiment doit être inscrit en noir sur la toile. Ces tentes qui ne sont pas très grandes doivent pouvoir loger huit soldats, dans la pratique elles en abritent moins; il y a toujours dans chaque compagnie des soldats en service ou malades.

Un sergent compte pour deux soldats, l'un campe dans la première tente et l'autre dans la dernière de sa compagnie.

Puységur dans son Art de la Guerre donne une planche qui montre comment faire coucher neuf soldats sous une tente qui fait huit pieds quarré non compris le cul de lampe ( abside ) et 7 pieds ( 2m 27 ) de haut, il les préfère en toile huilée qui bien que plus lourdes protègent mieux de l'humidité.

Chenevière précise " comme toutes les tentes de l'infanterie ne sont pas toujours égales, s'il arrive que quelques régiments par la grandeur de ses tentes ne puisse pas placer son cul-de-lampe dans l'espace de la petite rue alors on prendra un pied de chaque coté de la grande rue".

Notons enfin que dans son dictionnaire La Chesnaye indique " Dans plusieurs régiments les soldats font porter leurs tentes par des bidets qu'ils achètent du restant du dernier prêt du mois de février que le Roi paye pour trente jours. Dans d'autres, ils en chargent le vivandier de la compagnie qu'ils payent dix sols chacun en rentrant en quartier d'hiver, les tentes appartiennent à la fin de la campagne au vivandier".

Pour un bataillon il faut donc 7 tentes pour la compagnie de grenadiers, 96 tentes pour les 16 compagnies de fusiliers et 3 tentes pour les tambours qui campent à part, soit un total de 106 tentes pour la troupe.

La première tente de chaque compagnie regarde le devant du camp, la dernière la queue et les autres font face aux grandes rues, elles sont adossées l'une à l'autre laissant un espace entre elles d'un pas ( 1m environ ) de large appelé petite rue. Seule la compagnie de grenadiers n'est pas disposée selon ce principe, ses tentes sont cote à cote tournées vers l'extérieur du camp du bataillon encore appelé grand intervalle.

On se sert d'un cordeau pour l'alignement du campement

Quand bien même il manquerait quelques tentes par la faiblesse de la compagnie, en ce cas on laisse la place vide dans le centre, ni à la tête, ni à la queue.

Depuis l'ordonnance de 1749 il y a deux drapeaux par bataillons, placés à 5 pas ( 5m environ ) en avant des premières tentes, vis à vis de la grande rue du centre. Chacun de ces drapeaux est gardé par un soldat, l'épée à la main et ayant son fusil chargé et posé à coté du drapeau sur deux petites fourches de bois piquées en terre.

A partir de janvier 1757 l'infanterie est dotée d'une artillerie régimentaire à raison d'une pièce de canon à la Suédoise par bataillon. La pièce et son caisson se placent en avant des premières tentes sur l'alignement du faisceau d'armes de la grande rue entre la compagnie colonelle et celle du lieutenant. Des 16 soldats chargés de son service 8 sont tirés du régiment et 8 viennent du corps de l'artillerie, j'ignore ou ils installent leurs tentes.

Le chevalet se met à la droite du campement du bataillon, en travers de la tente des grenadiers un pas en avant du premier faisceaux. Le chevalet est construit avec deux fourches et une traverse, éventuellement protégé par un abris de branchage, il sert à poser les armes des 48 fusiliers destinés à différents services et que l'on appel piquet.

A cent pas en avant du campement de chaque bataillons il y à pour sa garde 16 fusiliers soit un par compagnies.

Les cuisines des soldats sont à dix pas en arrière du campement des compagnies, les vivandiers à dix pas des cuisines avec leurs chevaux, voitures, cuisines, bois et fourrages arrangés autour de leur tente. Il y a trois vivandiers par bataillon qui logent dans trois tentes semblables à celles de la troupe. On construit une cuisine par compagnie et une pour les tambours. Les cuisines mesurent environ 3 pas de long et 4 pieds de largeur, les soldats les creusent de 2 pieds 3-4 pouces si le terrain le permet, ils relèvent la terre de l'une contre celle de l'autre vis-à-vis des petites rues qui séparent les compagnies.

Sur ce même alignement, derrière les premières compagnies, les trois tentes des tambours du bataillon et la sixième tente de la compagnie des grenadiers.

Vient ensuite le campement des lieutenants éloigné de vingt pas des vivandiers, chacun est campé derrière sa compagnie, dans l'intervalle de ces vingt pas s'installent leurs domestique, leurs chevaux au piquet, leur cuisine, leur bois et fourrage.

A vingt pas en arrière les tentes des capitaines et de leurs valets disposées de même.

Enfin tout à l'arrière du camp l'état-major se place à cinquante pas de celui des capitaines. Le colonel et lieutenant colonel au centre, le premier à droite et le second à gauche de l'intervalle du milieu du bataillon. Le major à droite sur l'alignement de la compagnie de grenadiers et l'aide-major à gauche sur celui de la dernière compagnie de fusiliers. Le chirurgien entre le colonel et le major, l'aumônier entre le lieutenant-colonel et l'aide-major. Les officiers supérieurs doivent théoriquement loger sur leur campement, s'il se trouve dans leur campement une habitation ils peuvent y loger. Ils logent dans des tentes beaucoup plus spacieuses que pour la troupe avec lit de camp, table chaises..., et si l'armée doit séjourner ils se font construire des baraquements de bois. Les tableaux de l'époque nous en donnent une idée de la taille, de forme ronde ou rectangulaire . Les tentes des officiers supérieurs et subalternes regardent la tête du camp et celles des valets et domestiques sont tournées latéralement ou vers l'arrière.

Pour les chevaux des officiers d'un bataillon d'infanterie il faut 150 piquets de 5 pieds de long nous précise Chenevière.

Les chapelles sont placées vers le centre du régiment, près de la garde du camp en 1ère ou 2ème ligne.

Les boucheries sont à 50 pas en arrière de l'état-major.

Les latrines sont creusées à 150-200 pas en avant du bataillon de la première ligne et 100 pas en arrière de l'état-major de la dernière ligne, ont leur construit un abris avec deux fourches 4 pieds et demi de long et une traverse de 12 pied de long.

Pendant la mauvaise saison, les hostilités sont suspendues, se limitant à des escarmouches de hussards ou de troupes légères. Pendant cette période " les troupes se baraquent " c'est à dire qu'elles logent dans des construction rudimentaires en bois. Ces baraques sont faites sur un terrain long de 7 à 8 pieds, et large de 6 à 7, on plante 4 grosses fourches qui portent quatre gros bâtons mis de travers pour soutenir la couverture qui est de paille ou de branche aussi bien que la cloison. Lors l'hiver 1759-1760, l'arrivée précoce et abondante de la neige n'ayant permis la construction suffisante de baraques, les soldats alternaient un jour sur deux le couchage en tente et en baraquement.

L'intendance est chargée de fournir le bois de chauffage, l'huile et les mèches pour les lampes.

Lorsque l'armée campe sur deux ou trois lignes on place les charrettes et mulets qui transporte la poudre et les balle des fusils de chaque brigade entre les lignes, gardés par une sentinelle l'épée à la main et lorsque l'armée campe sur une seule ligne ils sont rassemblés près du corps de garde à la tête du camp.

 

Jean-Louis Vial