Chateau-Queyras

Campagne de 1747
Mémoire sur l'attaque des retranchements de l'Assiette

par Mr le Comte de Mailly

 

L'état pressant où se trouvait la ville de Gênes, dont les armées combinées d'Autriche et de Piémont avaient formé le siège depuis longtemps, et l'impossibilité où étaient celles de France et d'Espagne d'y porter un secours direct par la rivière de Gênes déterminèrent le maréchal de Belle-Isle à former un plan de diversion qui remplit le même objet en obligeant les ennemis lever le siège pour se porter au point attaqué. L'armée occupait alors la position de la Roya, ayant devant elle Vintimille, dont on venait de s'emparer, Villefranche et Montalban ayant été successivement pris, après le passage du Var précédé de la prise des îles Sainte Marguerite et Saint-Honorat, à la suite de la retraite des ennemis de la Provence.

C'est dans ce point de vue de diversion, dont M. le maréchal de Belle-Isle était occupé, que l'on proposa de se porter avec un corps sur Demont, qui eût ouvert la vallée de Sture sur Coni et sur le Piémont, et d'unir à ce siège celui de Saorgio, dont le point eût lié par lui-même le corps de la vallée de Sture à la gauche de l'armée dans la position de la Roya; mais ce projet n'ayant point été adopté, on se détermina à porter la diversion sur Exilles, d'où l'on se proposait de faire une incursion dans le bassin de Turin jusqu'à la Vénerie, et les quatre-vingts escadrons de cavalerie et de dragons campés près Valence en Dauphiné devaient y être destinés.

Ce projet fut d'autant plus préféré à celui de Demont que, d'après les rapports suivis de M. d'Arnaud, maréchal de camp, qui avait passé l'hiver à Briançon, on croyait être assuré que les travaux que le roi de Sardaigne avait fait commencer dans cette partie, pour couvrir par une sorte de camp retranché la place d'Exilles, ne pourraient être achevés, tant relativement à leur étendue qu'à la difficulté du terrain.

C'est ce qui détermina donc à donner la préférence à cette entreprise, et en conséquence on tira vingt et un bataillons de l'armée, dent neuf furent sous les ordres de M. de Bissy, lieutenant général, et douze sous ceux de M. de Mailly, maréchal de camp ; ils traversèrent les comtés de Nice et de Beuil par des chemins incroyables et se réunirent à Barcelonnette, d'où à Guillestre, sous les ordres de M. le chevalier de Belle-Isle, on y joignit quelques autres bataillons ; et ce fut de ce point que le chevalier de Belle-Isle fit sa disposition première.

Elle avait été précédée des ordres envoyés à M. d'Escars, brigadier, pour marcher avec deux bataillons suisses au service de l'Espagne qui étaient en Savoie, et il devait se diriger sur Exilles par la Chapelle-Blanche et les Quatre-Dents, ayant pour direction le revers des retranchements ; mais cette espèce de corps n'avait pour objet que de donner le ton d'auxiliaires aux troupes françaises qui n'étaient point en guerre avec le roi de Sardaigne, et ces deux bataillons devaient figurer sur le même ton au siège d'Exilles.

Tous les préparatifs d'ailleurs du siège étaient rassemblés à Briançon Ainsi que tout ce qui avait rapport à cette entreprise, et, tout étant ainsi arrangé, la marche des troupes fut disposée sur trois colonnes.

Treize bataillons, aux ordres de MM. de Villemur, lieutenant général, et de Larnage, maréchal de camp, composés des régiments de Mailly, Boulonnais, Agénois, Royal-Roussillon, Périgord, Guyenne, Beaujolais, Beauce et Grenadiers Royaux de Modène, dirigèrent leur marche par le Val Queyras et le Col de Gesture ( Tures), d'où ils gagnèrent les hauteurs qui conduisent à Fenestrelles.

L'objet de cette colonne, qui formait celle de la droite, était de se porter sur le point de la gauche des retranchements qui appuyaient à la .hauteur de Fenestrelles .

La colonne du centre, aux ordres de M. le chevalier de Belle-Isle et de M. d'Arnaud, était composée de quatorze compagnies de grenadiers, de douze piquets tirés des autres corps, de la brigade d'Artois et d'un régiment de grenadiers royaux.

Cette colonne se dirigeait par le mont du Bourget et le col de Plane (Côte-Plane), d'où sur les hauteurs du Bois de Feu, et son objet était de se porter sur le point du centre des retranchements.

La troisième colonne, formant celle de gauche et composée des deux brigades de Bourbonnais et de la .Reine, formées des deux régiments de ce nom et de ceux de Soissonais, Guise, Béarn et Des Landes, était aux ordres de M. de Mailly, maréchal de camp; elle devait marcher par le Mont-Genèvre, Cézane et 0ulx, et de là, par la montagne de Mont-Faure, au Saulx.d'0ulx, d'où, traversant la forêt de ce nom, elle devait se porter de l'autre côté sur la gauche des retranchements dont elle devait former l'attaque.

Cette colonne devait être suivie de quatre pièces de canon de quatre longues, lesquelles n'auraient trouvé aucune difficulté dans leur marche ; mais M. le chevalier de Belle-Isle ayant jugé à propos de les faire passer à la suite de la sienne, les chemins impraticables l'obligèrent de les abandonner et il ne put faire suivre que les quatre pièces de fer dites, " vit de mulet" qui avaient été destinées à sa colonne.

La marche de ces trois colonnes paraissait être combinée de façon à devoir arriver toutes les trois le 18 juillet, avant midi, devant les retranchements, et l'on devait en former l'attaque sur-le-champ.

Celle commandée par M. de Mailly avait seule prévenu qu'elle trouverait des obstacles dans sa marche, à l'entrée et du passage de la forêt du Sault-d'0ulx, par les abatis que les ennemis y avaient fait faire, et ayant fait en conséquence ses dispositions en marchant, il les fit attaquer en arrivant.

Et comme le feu en fut assez vif, M. le chevalier de Belle-Isle lui envoya dire de ne point attaquer que sa colonne ne fût à la même hauteur que la sienne; mais comme il était important de chasser tout de suite les ennemis de la forêt pour qu'ils ne s'y établissent pas en force. M. de Mailly crut devoir les faire attaquer en même temps sur tous les points des abatis, et il les chassa en entier du bois, à la tète duquel il s'établit en détendant sur son front par des abattis dont il se couvrit en attendant, l'armée des autres colonnes.

Il n'était alors que 10 heures du matin, mais la colonne de M. Le chevalier de Belle-Isle n'arriva qu'à 7 heures du soir, et l'on eut à peine des nouvelles de celle de M, de Villemur qui n'arriva au point de sa direction que le lendemain matin à 8 heures.

Dans cet intervalle, M, de Mailly avait été reconnaître la gauche des retranchements à portée desquels il se trouvait et dont l'attaque lui était destinée; il en avait fait lever le plan par un de ses aides de camp.

Il avait appris en même temps par des déserteurs qu'il venait d'arriver, du camp devant Gênes, plusieurs bataillons autrichiens qui devaient être suivis le lendemain de quelques autres, et, selon le rapport d'autres déserteurs qui lui arrivèrent dans la nuit, il devait y avoir le lendemain matin vingt-huit bataillons dans les retranchements.

M. de Mailly fit part de toutes ces choses à M. Le chevalier de Belle-Isle au moment de son arrivée ; et, comme les détachements qu'il avait chassés de la forêt s'étaient établis sur quelques plateaux en face du bois et qu'ils en incommodaient fort la sortie, il donna la permission de les faire attaquer, mais M. le chevalier de Belle-Isle ne le jugea pas à propos.

Il vint trouver M. de Mailly le lendemain matin à la pointe du jour, et celui-ci lui ayant fait observer le plan de la gauche des retranchements, qu'il avait fait lever la veille, M. le chevalier de Belle-Isle voulut y aller lui-même, mais il ne lui fut pas possible d'en approcher par le feu continuel des ennemis qui occupaient les plateaux d'où M. de Mailly avait voulu les chasser, et sur la permission que M. le chevalier de Belle-Isle lui donna de les attaquer, il les fit tourner et s'empara des deux hauteurs, qu'il occupa.

Ce fut dans ce moment que l'on vint rendre compte à M. le chevalier de Belle-Isle de 1'approche de la colonne de M. de Villemur, ce qui le détermina à retourner à la sienne où il régla son plan d'attaque.

Toutes les colonnes se trouvèrent alors à un petit quart de lieue des retranchements; mais avant de parler des points de leurs attaques et de la disposition qui en fut faite, il parait nécessaire de dire un mot sur la situation et l'état effectif où se trouvaient ces retranchements.

Ils s'étendaient depuis les hauteurs de Fenestrelles, où la gauche des ennemis appuyait, jusqu'à la rivière de la Doire qui fermait leur droite tombant à peu près sur Exilles.

Celte étendue pouvait être d'environ cinq à six lieues relativement aux sinuosités, et tout le front en général faisant le centre jusqu'à la gauche également escarpée était établi en pierres sèches de quatre, cinq et six pieds d'élévation, selon la position.

Dans ce prolongement, il y avait de distance en distance des redoutes dont les unes simplement en pierres sèches et les autres en fascines longues ou merlons piquetés étaient élevées de quinze à dix-huit pieds, selon le terrain du sol, et telle était celle qui formait le point d'attaque du centre dont on va parler à l'article de la colonne de M. le chevalier de Belle-Isle.

Enfin la droite du retranchement formant la gauche de notre attaque, après avoir formé du point de la redoute du centre un rentrant de plus de huit cents toises en arrière dont les branches étaient couvertes d'un retranchement en pierres sèches établi sur un roc fort escarpé, allait se terminer à travers le bois par une branche tirée presque droite jusqu'à la rivière de la Doire, et cette partie était simplement élevée de quatre pieds en terre ou gazon, selon les fonds du sol ; c'était la partie que M. de Mailly avait reconnue la veille et dont il avait fait lever le plan.

Tel était l'état des retranchements, bien différents de ce que M. d'Arnaud les avait annoncés, puisqu'il prétendait qu'ils n'étaient en général qu'en gazon et de trois à six pieds au plus d'élévation.

Toutes les colonnes enfin reçurent à 10 heures du matin leurs ordres de marche, et leurs points d'attaque leur furent eu même temps assignés.

Celle de la droite, aux ordres de MM. de Villemur et de Larnage, eut ordre de se porter sur la gauche des retranchements à la hauteur de Fenestrelles, avec ordre de masquer par un détachement sur son flanc droit le débouché de Fenestrelles.

Celle du centre, aux ordres de M. le chevalier de Belle-Isle, ayant sous lui MM. d'Arnaud, de Monteynard, d'Andlau, maréchaux de camp, devait former l'attaque du centre et se porter sur le point de la. redoute dont on vient de parler.

Et enfin celle de gauche, aux ordres de M. de Mailly, devait entrer et se prolonger dans l'angle rentrant dont on a parlé et attaquer le point intérieur des retranchements.

D'après cette disposition envoyée à M. de Mailly, celui-ci crut devoir faire quelques représentations à M. le chevalier de Belle-Isle et il se rendit à sa colonne.

Il lui représenta la difficulté de pénétrer par un rentrant où sa colonne serait écrasée avant de parvenir au pied du retranchement, et il lui proposa au contraire de ne faire paraître de troupes dans cette partie que la valeur d'une fausse attaque et de diriger la véritable sur la branche droite du retranchement qui tombait sur la rivière, dont il lui avait fait voir déjà le plan et qu'il venait de reconnaître une seconde fois par lui-même. M. de Mailly appuya sa proposition de tout ce qui pouvait être le plus clairement démontré, mais tout ce qu'il put présenter fut inutile.

Et enfin il fut obligé à se réduire à demander qu'il lui fût au moins permis de faire attaquer en même temps cette branche droite des retranchements afin de garantir le flanc gauche de sa colonne du feu de cette partie, et c'est ce qui lui fut accordé.

M. de Mailly revint à sa colonne, et, d'après ce qui venait d'être convenu, il en détacha douze piquets sous les ordres de M. de Bourdenave, lieutenant-colonel de Bourbonnais, destinés pour l'attaque de la branche du retranchement.

La disposition d'ailleurs de sa colonne était la suivante :

Une avant-garde composée de douze compagnies de grenadiers;

Une compagnie de mineurs,

Et douze piquets.

Elle était aux ordres de M. de Gouy, colonel de la Reine.

Les deux brigades de Bourbonnais et de la Reine suivaient en colonne, ayant des demi-piquets sur les flancs faisant feu sur les retranchements, la colonne ne devant point tirer, et elle , était fermée par un détachement de dragons du Roi à pied, tiré de Briançon, où ce régiment se trouvait.

Le détachement de M. le chevalier de Belle-Isle fut simplement disposé en colonnes ; mais la disposition de celui de M. de Villemur fut en plusieurs sortes. Il en fut tiré un détachement de douze cents hommes aux ordres de M. de Laval, colonel de Guyenne, pour occuper les hauteurs sur Fenestrelles et les masquer.

On forma un corps de grenadiers aux ordres de M. de Larnage, maréchal de camp, soutenu de deux bataillons, qui s'approcha des retranchements, et le surplus fut disposé en panne sur les hauteurs, aux ordres de M. de Villemur.

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