LE SERVICE DE SANTE MILITAIRE AU XVIIIe SIECLE

par F. Olier

Aux origines

En France la création, législative, d'un service de santé militaire permanent remonte à l'édit du 17 janvier 1708. A cette date le roi créé les offices de :

- 4 médecins inspecteurs généraux ;

- 4 chirurgiens inspecteurs généraux ;

- 170 chirurgiens-majors à la suite de ses régiments ;

- 50 chirurgiens-majors et de 50 médecins-majors pour les hôpitaux qui ceinturaient la frontière dont Vauban avait entouré la France.

Cette organisation se substitue au service sanitaire rudimentaire qui depuis l'apparition des armées permanentes du XVIIe siècle suit les troupes en campagne.

1) - Le service hospitalier militaire au XVIIIe siècle (temps de paix)

Ce service hospitalier subordonné aux ordres des commissaires des guerres s'articule autour :

- des hôpitaux militaires appelés aussi hôpitaux fixes (au nombre d'environ 50 en 1708 et 70 en 1781) classés en catégories (classes) suivant leur capacité hospitalière ;

- des hôpitaux bourgeois ou de charité, attachés au service militaire dans lesquels le roi règle aux administrateurs civils des hôpitaux un prix de journée par militaire hospitalisé ;

- des hôpitaux militaires thermaux permanents ou saisonniers.


Angoulème, vue de l'Hopital et du Collège Royal de la Marine

Ces hôpitaux militaires sont soumis au régime de l'entreprise ou de la régie suivant les circonstances et les épôques.

Le personnel des hôpitaux militaires comprend, par hôpital

des personnels administratifs : entrepreneur, directeur, contrôleur, commis aux visites, commis de bureaux, etc. ;

des personnels médico-chirurgicaux : Un médecin, un chirurgien-major, un ou plusieurs chirurgiens aides-majors, sous-aides majors et élèves en chirurgie, un apothicaire-major, plusieurs aides-majors, sous-aides majors et élèves apothicaires ;

divers employés subalternes : commis, infirmiers, employés gagés, etc.

Les gages des employés dans les hôpitaux militaires y compris les garçons chirurgiens, apothicaires et les infirmiers sont à la charge de l'entrepreneur, à la seule exception des appointements du contrôleur, de l'aumonier, du médecin, des chirurgiens-majors et aides-majors qui sont payés par le roi.

Le personnel hospitalier militaire

Les médecins sont titulaires d'un doctorat en médecine de l'université et des privilèges du collège de Saint-Luc. Ils ont le pas sur les chirurgiens. Leur statut dans la société reste plus favorisé que celui de ces mêmes chirurgiens. Ce sont des praticiens de valeur qui ont accès aux plus hautes sphères du pouvoir royal. Leur emploi peut parfois les faire anoblir. Hormis les médecins inspecteurs généraux, leur ordre ne compte qu'une seule classe sans échelon subalterne.

L'ordonnance du 26 février 1777 accentue la situation privilégiée du personnel médical, en sobordonnant tous les officiers de santé aux médecins inspecteurs généraux.

Les chirurgiens sont les seuls praticiens qui progressent par étapes successives. Ils subissent une sélection sérieuse, au concours, après un stage préalable de trois ans ou plus puis un enseignement surveillé, des cours de perfectionnement suivis d'examens rigoureux qui leur permettent de franchir les différents grades de :

- garçon chirurgien ou élève en chirurgie ;
- chirurgien sous-aide-major ;
- chirurgien aide-major ;
- chirurgien-major.

Les apothicaires sont à l'origine des employés " civils " au compte des entrepreneurs engagés pour une campagne de guerre ou une prestation hospitalière. Vers 1747, la multiplication des abus dans les hôpitaux militaires impose la constitution d'un corps d'apothicaires militaires fixé par rapport au nombre moyen des hospitalisés (un pour 50) subordonnés au médecin de l'hôpital. Durant leur carrière ils franchissent les différents grades de :

- garçon ou élève apothicaire ;
- apothicaire sous-aide-major ;
- apothicaire aide-major ;
- apothicaire-major.

pots d'Apothicairerie

2) - Le service hospitalier militaire en campagne au XVIIIe siècle

est sous les ordres de l'intendant d'armée et des commissaires des guerres. Le service de santé se compose d'une chefferie du service de santé à la hiérarchie sanitaire et militaire souvent bicéphale associant premier médecin et premier chirurgien, appelés aussi " en chef ".

a) - L'hôpital ambulant d'armée

est le premier échelon mobile du service de santé en campagne, déjà prévu dans une ordonnance de 1550. L'hôpital ambulant accompagne toutes les armées actives en opérations et son rôle se termine quand l'armée prend ses quartiers d'hiver. Il se transforme alors en hôpital fixe licenciant la plus grande partie de son personnel.

Le régime administratif de l'hôpital ambulant

L'hôpital ambulant d'armée est placé sous l'autorité de l'intendant d'armée, auquel incombe son organisation, son installation et la supervision de son fonctionnement.

Ils fonctionnent sous le régime de la régie (le plus souvent) ou lorsque les circonstances financières deviennent défavorables (durant la guerre de Sept ans) sous celui de l'entreprise.

La mission et l'emplacement de l'hôpital ambulant

L'hôpital ambulant d'armée est le premier entrepôt où le plus grand nombre de blessés se trouvent rassemblés pour être opérés, et, de là, transportés dans les hôpitaux des villes les plus proches [hôpitaux sédentaires, voir infra] et ensuite les plus éloignées, lorsque les premiers sont surchargés.

On prévoit un hôpital ambulant par effectif de 20 000 hommes, en tenant compte d'une morbidité de 4 pour 100 pour une armée campée. Ce taux est doublé à mi-campagne. En fin de campagne on estime à 10 pour 100 le chiffre des hospitalisés. Ce chiffre est largement augmenté en cas de maladies épidémiques.

Le personnel de l'hôpital ambulant

Le personnel administratif comprend :

- un commissaire des guerres, chargé de la police de l'hôpital
- un directeur
- un contrôleur
- un garde-magasin
- un commis aux entrées
- un commis aux écritures
- un premier et un second commis aux distributions
- trois aumôniers
- deux frères et deux valets
- deux boulangers
- deux blanchisseurs
- un tisanier
- un infirmier-major et 30 infirmiers
- un cuisinier et deux aides.

Le personnel médico-chirurgical

- un chirurgien-major
- 12 chirurgiens aides-majors
- 24 garçons chirurgiens
- un apothicaire
- 2 apothicaires aides-majors
- 4 garçons apothicaires.

D'une manière - théorique - l'effectif de l'hôpital ambulant s'élève à 115 personnes pouvant atteindre de 140 à près de 300 et plus.

Equipage et transports

L'équipage comporte 3 capitaines, 3 conducteurs, 3 maréchaux, 3 charrons, 3 bourreliers, 42 charretiers, 40 caissons et 68 chevaux dont 8 haut le pied.

Toutefois ces chiffres sont variables à l'infini. L'hôpital ambulant ne fonctionne pas d'une façon monolithique, se séparant en nombreuses sections, en soutien des corps engagés. Ainsi en 1759 à Francfort-sur-le-Main, l'hôpital ambulant se fractionne en quatre sections pour fonctionner. Des dizaines de nouveaux employés sont engagés pour la circonstance.

b) - Les hôpitaux sédentaires

Ces sont des formations temporaires intermédiaires qui sont situées entre les hôpitaux ambulants et les hôpitaux militaires des villes frontières.

Le régime administratif des hôpitaux sédentaires.

Alors que le régime administratif des hôpitaux ambulants est celui de la régie, celui des hôpitaux sédentaires est l'entreprise et nécessite la constitution d'association de particuliers, de spéculateurs organisés en " compagnies fermières " ou " compagnies des hôpitaux ".

" L'entreprise étant à bail, se passe de main en main et comme chacun veut gagner sur son contrat, il s'ensuit que le dernier acquéreur cherche à récupérer avec le plus de profit possible, le bas prix auquel il a commissionné " (Des Cilleuls).

La mission et l'emplacement des hôpitaux sédentaires.

Les hôpitaux sédentaires sont répartis sur les arrières du champ de bataille par l'intendant d'armée, de 5 lieues en 5 lieues, en nombre proportionné aux effectifs engagés.

Leurs approvisionnements et recomplétements doivent être prévus à l'avance. Ces hôpitaux sont installés dans des bâtiments aussi vastes et salubres que possible (essentiellement des établissements religieux ou des châteaux).

En cas de retraite, le repli de ces hôpitaux sédentaires s'effectue " les uns sur les autres ", par étapes.

Leur nombre est variable. Ainsi en 1757, à l'armée de Westphalie l'on trouve pour l'hôpital ambulant installé à Erfurt, quatre hôpitaux sédentaires satellites implantés à Eisenach, Fulda, Hanau et Heidelberg.

Le personnel des hôpitaux sédentaires

Le personnel administratif comprend

- un directeur, représentant des " compagnies d'hôpitaux ", en charge de la surveillance, représentant des entrepreneurs ;
- un commissaire des guerres, agent du roi, qui assure la certification des écritures ;
- un contrôleur, agent du roi, qui contrôle le dépenses et tient la comptabilité des mouvements d'hospitalisés et des dépenses ;
- de nombreux employés administratifs (commis, interprètes français-allemand, gardes-magasins, etc.) au compte de l'entrepreneur.

Toutes les fournitures, remèdes, matériels divers, aliments, services divers sont au compte des entrepreneurs et remboursables au travers du prix de journée d'hospitalisation des soldats malades ou blessés, à un tarif fixé par avance.

Le personnel médico-chirurgical

- des officiers de santé (médecins, chirurgiens-majors et aides-majors) sont au compte du roi et payés par lui.

- les garçons chirurgiens et apothicaires ainsi que les infirmiers et les servants des deux sexes (boulangers, buandiers, bouchers, hommes de peine, etc.) sont à la charge de l'entrepreneur. 

Equipage et transports

L'hôpital sédentaire n'est pas une formation chirurgicale mobile disposant en propre d'un train d'équipage. Aussi chaque déplacement nécessite t'il, à charge de remboursement, un appel aux moyens du roi (Parcs d'artillerie ou des vivres, etc.) ; des moyens du pays (entreprise de roulage, charretiers, mariniers, etc.).

Le fonctionnement des hôpitaux sédentaires a été très décrié durant la guerre de Sept ans, signalé presque systématiquement par les témoins du temps comme défectueux ; lieux où le brigandage était généralisé.

C) - Les évacuations sanitaires


fragment d'un tableau de J. Bernaert,
ou l'on voit un soldat transportant un compagnon blessé,
et un écclésiastique réconfortant un mourant.

sur le champ de bataille. Le portage se fait à dos d'homme ou à partir de tous moyens improvisés. Les porteurs sont même rémunérés pour apporter les blessés tant à l'hôpital ambulant qu'aux hôpitaux sédentaires en l'absence de structures de ramassage organisées.

vers les hôpitaux. On utilise :

- soit des chariots à quatre roues bâchés sur le modèle de ceux de l'hôpital ambulant d'armée : " Caissons bien forts et bien construits, qui auront chacun une roue et un essieu surnuméraire, un cric, une fourche, une pelle, une pioche, une hache, une serpe, une faulx, un marteau, une tenaille, des clouds, plusieurs brasses de cordes et du camboui. " ;

- soit des caissons à vivres qui, une fois la distribution terminée aux troupes reviennent à l'hôpital ambulant avec un chargement de blessés et de malades ;

- à défaut on fait appel à des chariots du pays réquisitionnés sur place. Tardivement, un article de l'ordonnance du 20 juillet 1788 prévoit 20 chariots à quatre roues pour une armée de 20 000 hommes.

- ou à des bateaux fluviaux (lors de la guerre de Sept ans sur le Rhin et ses affluents). 

 

F. Olier