Chateau-Queyras

 

Campagne de 1747
Mémoire sur l'attaque des retranchements de l'Assiette
par Mr le Comte de Mailly

 (2me partie)

...

D'après ces dispositions générales, toutes les colonnes s'ébranlèrent, il était 4 heures un quart après midi : celle du centre, aux ordres de MM. le chevalier de Belle-Isle et d'Arnaud, voulut d'abord (à l'abri d'un petit monticule sur lequel on avait établi quatre mauvaises pièces dites vit de mulet et qui ne firent aucun effet) se réduire à fusiller sur la redoute; mais incommodé par le feu sous lequel elle se trouvait M. d'Arnaud se détermina à porter ses grenadiers au pied du retranchement dont le revers du monticule formait une espèce de fossé, et il fut tué en débouchant.

Une partie des grenadiers se replia dans ce moment sur M. le chevalier de Belle-Isle, qui était au centre de la colonne et qui, les ayant ralliés, les ramena au pied de la redoute ; mais leurs efforts pour y monter furent inutiles, son élévation de plus de seize pieds ne pouvait le permettre et la plus grande partie de ceux qui s'y étaient portés fut assommée soit par les pierres, soit par le feu que les ennemis firent en baissant leurs armes le long du revêtement de la redoute, et ce fut le moment où M. le chevalier de Belle-fille fut tué.

On ne peut à cette occasion s'empêcher de parler ici de l'action d'un grenadier qui, ayant monté sur les épaules d'un de ses camarades, s'attacha aux fascines de la redoute et étant parvenu jusqu'en haut en gravissant, se saisit d'un drapeau qui était planté sur la redoute et combattit le sabre à la main jusqu'à ce qu'il eût été criblé de coups; il allait être suivi de quelques autres lorsqu'il fut précipité.

La colonne de gauche, commandée par M. de Mailly, s'avança dans l'angle rentrant de son attaque, mais à peine l'avant-garde eut-elle marché cent pas qu'elle essuya une décharge générale qui l'écrasa en entier.

M. de Mailly, qui était à cheval à la tête de la colonne, s'y porta pour rallier ce qui lui restait, et n'ayant pu y réussir, il fit avancer le premier bataillon de Bourbonnais en forme d'avant-garde, qui, arrivé au même point de direction, éprouva le même feu des retranchements et plia.

On doit ajouter que la tête fut vivement endommagée, M. de Goas, colonel, et jusqu'au douzième rang, tout fut écrasé.

Pendant ce temps, M. de Bourdenave avait marché sur la gauche de la colonne avec ses douze piquets à la branche d'en bas des retranchements, et, après avoir essuyé sans tirer deux décharges des ennemis, il les attaqua la baïonnette au bout du fusil et sauta dons le retranchement, d'où il les chassa sans avoir perdu un seul homme.

Ce moment, qui fut suivi des cris de vive le Roi, attira une partie du premier bataillon de Bourbonnais qui avait plié, et M. de Mailly, ayant fait avancer sur-le-champ le second eut la douleur de voir qu'après une troisième décharge que les ennemis firent à la même place, ce bataillon plia comme le premier.

Enfin il fit avancer le troisième qui marcha avec une fermeté sans pareille ; le nommé Dubourdet le commandait; il fut suivi du quatrième de la brigade de la Reine sur le même ton; ce que voyant, le premier et le second bataillon, qui avaient plié, se rallièrent et revinrent, en coupant au-devant du troisième, reprendre leur place à la tête de la colonne, d'où ils se portèrent avec des cris de fureur jusqu'au pied du retranchement où ce qui restait de la colonne fut presque entièrement détruit par le dernier feu des ennemis.

Enfin, ne restant plus à peine de ces deux brigades que trois ou quatre cents hommes, M. De Mailly fit battre en retraite, et il vint reprendre la même position d'où il avait marché en avant.

Et comme il avait lieu de craindre que les ennemis ne sortissent du retranchement et ne marchassent sur lui, il changea sa disposition en colonne et fit mettre les trois cent cinquante hommes qui lui restaient en bataille à deux de hauteur; ce mouvement fut prompt et se fit de façon que les ennemis, voyant un front fort étendu crurent que c'était un renfort de réserve qui venait de lui arriver.

Il était alors 6 heures et demie, ce qui fit deux heures un quart d'attaque.

Quant à l'attaque de la colonne de droite de M. de Villemur, elle en imposa sans doute aux troupes de Fenestrelles et à celles des retranchements, mais elle ne se compromit: pas, quoique peut-être elle n'eut au plus que deux bataillons vis-à-vis d'elle.

Le détachement seul des grenadiers, commandé par M. de Larnage, et quelques bataillons qui on étaient à portée y perdirent quelques hommes.

Les trois colonnes s'étant donc repliées et la nuit approchant, il fut question de savoir quel était le parti que l'on prendrait.

M. de Mailly, à qui un officier de la colonne de M. le chevalier de Belle-Isle vint annoncer sa mort, se rendit à la colonne du centre, où M. de Villemur se rendit de son côté, et d'après l'avis des officiers généraux réunis, il fut décidé que l'on se retirerait dans la nuit.

M. de Mailly fut chargé de l'arrière-garde et de faire enlever les blessés ; on lui donna tous les grenadiers qui restaient des trois colonnes et il fut convenu qu'il contiendrait les ennemis en restant en bataille vis-à-vis des retranchements jusqu'à minuit, après quoi il ferait sa retraite.

Mais comme un objet des plus intéressants était de retirer les blessés, et qu'il n'avait pas été possible de les faire transporter dans la nuit jusqu'au Sault-d'0ulx où se trouvait l'hôpital ambulance, M. de Mailly resta dans sa position jusqu'à 10 heures du matin, puis il se replia sur le village du Sault-d'0ulx à une lieue en arrière des retranchements et après en avoir fait enlever les blessés qu'il était possible de transporter et y être resté jusqu'à midi, il envoya un officier et un commissaire des guerres avec un tambour à M. de Briqueras, général piémontais, ,pour lui demander d'envoyer. un détachement pour la conservation et la garde des blessés qui se trouvaient hors d'état d'être transportés; ce qui fut rempli aux termes ,de la réponse de ce général et de la convention, qui fut faite par écrit, que les effets de l'hôpital, que le fonds de la caisse, ainsi que tout ce qui appartenait au Roi, et les personnes y attachés ne seraient point dans le cas de prise ni de prisonniers.

Ce dernier objet étant rempli, M. de Mailly joignit l'armée au village d'0ulx, où le corps de M. le chevalier de Belle-Isle avait été porté et où on lui rendit les derniers honneurs.

Depuis ce temps il a été transporté à Embrun.

Enfin toutes les troupes se replièrent sur le Mont-Genèvre , où M. le maréchal de Belle-Isle renvoya M. d'Argouges, lieutenant général, avec les ordres de la destination des troupes et des Généraux.

M. d Argouges se porta à Guillestre.

Et M. de Villemur retourna commander dans la vallée de Barcelonnette.

M. de fut chargé du commandement du Briançonnais. Il eut ordre de s'y vis-à-vis des ennemi, de concert avec les Espagnols qui occupaient la Savoie, et il fut chargé d'établir depuis Briançon des retranchements dont la droite fut appuyée à une montagne au dessus du fort d'Anjou, dite de l'Infernet, que l'on fit escarper et sur laquelle on établit une espèce de fort qui subsiste encore aujourd'hui, et dont la gauche tombait au-dessus de la vallée de Saint-Jean-de-Maurienne pour communiquer avec la Savoie; l'étendue de ces retranchements pouvait occuper de vingt cinq à trente lieues relativement aux sinuosités.

M. de Mailly envoya le plan de ces retranchements à M. le maréchal de Belle-Isle, ainsi que celui des retranchements de l'Assiette et ceux des col de Vars, de la vallée de Barcelonnette et de Tourons.

Ces travaux étant remplis et les ennemis, après différentes dispositions dans cette partie qui n'aboutirent qu'à quelques actions de détachements où ils furent successivement repoussés, ayant pris le parti de marcher par leur gauche, M. de Mailly eut ordre de laisser trois bataillons sous Briançon et de les côtoyer à même hauteur, il se rendit ainsi dans le comité de Nice où il rejoignit l'armée et où il se trouva à l'affaire de la Roya qui termine cette campagne.

Tel est à peu près le précis de la campagne de 1747 relativement à l'affaire de l'Assiette, où il serait bien difficile, d'après l'exposé que l'on vient de faire de la disposition générale des attaques, d'en justifier le malheureux succès.

Et en effet, sans canons, sans fascines, sans blindages et surtout sans échelles, l'attaque de ces retranchements paraissait être démontrée impraticable.

L'heure même où elle fut entamée, et surtout le temps que l'on donna à l'ennemi de juger de la disposition, en augmentèrent les obstacles.

Et on effet les têtes des colonnes se trouvèrent portées sut les retranchements à 10 heures du matin et l'attaque ne commença qu'à 4 heures et quart aprés midi, aussi ne cessa-t-on de voir les ennemis établir et changer successivement leurs dispositions conséquemment à celles que nous leur présentions, et il leur fut même facile de calculer le nombre le nos troupes, tandis que leur position nous mettait hors d'état de connaître celui des leurs.

Cependant, et l'on ose le dire avec assurance, si l'on eût porté un peu plus de réflexion dans cette attaque, il n'eût pas été impossible d'en espèrer tout le succès; et il ne s'agissait même que de changer les formes de la dispositon générale qui, dans le grand, était bien prise.

La colonne de M. le chevalier de Belle-Isle ne devait être qu'une fausse attaque.

Celle du point destiné à M. de Mailly devait en être de même.

Les deux colonnes décisives auraient dû être, celle de M. de Villemur par la droite sur la gauche des ennemis à la hauteur de Fenestrelles, et celle de M. de Mailly sur leur droite au point de l'attaque dont le sieur de Bourdenave fut chargé.

Mais il aurait fallu en même temps que toutes ces dispositions n'eussent été faites que le soir même de l'attaque et que l'on eût, pendant la nuit, inquiété l'ennemi par des détachements sur tout son front pour former ensuite des attaques décisives une 'heure avant le jour.

Il eût été en même temps facile de préparer pendant ce temps les matériaux si nécessaires à ces sortes d'actions, tant en fascines qu'en échelles, etc..., la droite et la gauche étant appuyées aux bois.

Telles furent aussi les réflexions que l'on présenta alors, niais elles ne furent pas plus utiles que celles que l'on avait présentées, d'après les nouvelles qui arrivèrent, à M. le chevalier de Belle-Isle à la hauteur de Cézane, et où on l'instruisait de la marche en force des ennemis dans ces mêmes retranchements.

Sur ces nouvelles, on rappela à M. de Belle-Isle l'objet de la diversion pour lequel il marchait à Exilles.

Il n'était autre que celui d'obliger les ennemis de lever le siège de Gênes, et, par une conséquence nécessaire, on pouvait juger qu'ils ne pourraient se porter dans les retranchements qu'aux dépens de la levée du siège, d'où l'on inférait que si effet ils s'y portaient, l'objet conséquemment de la diversion était rempli.

On ajoutait en même temps que, dans la position où l'on se trouvait, on pouvait retirer, un double avantage en maintenant les ennemis dans les retranchements où ils s'étaient portés pour couvrir Exilles, et en établissant un corps de vingt bataillons sur les hauteurs de Cézane pour les tenir en respect, afin de former, pendant ce temps, l'investissement et le siège de Demont dont le corps de Cézane ferait l'armée d'observation, les ennemis ne pouvant se porter sur Demont qu'en prêtant le flanc à cette position.

Enfin le train d'artillerie destiné pour Exilles et assemblé à Briançon était également à portée de Demont, et tout enfin paraissait se réunir, d'après le premier objet rempli, à un autre qui, on ose le dire, eût couronné cette campagne.

Mais la fatalité fut entière pour le moment et pour les suites et surtout dans la perte énorme, relativement à l'espèce d'action, que l'on fit dans cette malheureuse journée.

Les troupes y firent tout ce qu'on était en droit d'en attendre, et aussi reçurent-elles des récompenses sans nombre en brevets, croix de Saint-Louis et gratifications.

Il y eut plusieurs brigadiers, et le Roi voulut bien créer en faveur de M, de Mailly le gouvernement d'Abbeville dont le brevet annonçait en même temps le principe de cette grâce.

L'état des tués et des blessés fut au delà de 4625 hommes et d'environ 400 officiers.

La seule colonne de M. de Mailly eut 1160 hommes et 268 officiers. .

Les officiers de marque tués furent :

M, le chevalier de Belle-Isle, lieutenant général; d'Arnaud, maréchal de camp ; le comte de Douges, colonel de Soissonnais; le comte de Goas, brigadier et colonel de Bourbonnais; Dimécourt, colonel de Périgord; le comte de Brienne, colonel d'Artois; de Morilles, lieutenant-colonel de Boulonnais; la Taille, aide-major général.

Ceux blessés furent :

MM. le comte de Mailly, maréchal de camp ; le comte de Gouy, colonel de la Reine; De Marcieu, colonel de Deslandes; baron de Corsac, aide-maréchal des logis; de Beauregard, brigadier et lieutenant-colonel de Guise; Civrac, colonel d'Aunis; marquis de Montcalm, colonel d'Auxerrois ; Ruffé, colonel de Boulonnais; Briannet, lieutenant-colonel .de. Santerre ; Bourdarien, lieutenant-colonel de Royal-Roussillon; de Danguy, lieutenant-colonel de Périgord ; marquis de Besons, colonel de Beaujolais; de Séguy, lieutenant-colonel de Beaujolais ; La Granville, colonel de Saintonge; chevalier de Bazin, lieutenant-colonel de Saintonge; Dagieu, major général; chevalier de Modène, colonel des grenadiers royaux ; M. de Mailly colonel de Mailly.