QUÉBEC - 1759
«Le coup des écoliers»

relecture d'un épisode militaire du siège de québec à partir des sources.

par Dominique Laperle

 

        À partir de l'été 1759, le siège de la ville de Québec, par une importante flotte anglaise, inaugurait la dernière phase de la Guerre de 7 ans dans la colonie. L'attaque de la capitale administrative de la Nouvelle-France était, en quelque sorte, l'aboutissement d'une audacieuse politique d'expansion coloniale lancée quelques années plus tôt par le premier ministre britannique William Pitt. Parmi les petits faits d'armes qui ont précédé et suivi la Bataille des Plaines d'Abraham - on pense à l'envoi des brûlots ou à la défense de l'Atalante par Vauquelin - se trouve un événement qui met en relief la précarité de la position française : le coup des écoliers. Cet écrit présentera d'abord le contexte de cet événement, puis, comparera les différents témoignages qui en ont été faits et, enfin, en donnera une brève analyse historique. Tâchons de mieux saisir la situation qui prévaut à l'été 1759.

        Les dirigeants civils et militaires du Canada s'activaient depuis le début de l'été à préparer la défense de la ville de Québec. L'aménagement des ouvrages de protection de la région ne se répartissait pas également sur les deux rives du fleuve, en aval de la cité. Pour des raisons matérielles et humaines, les autorités coloniales jugèrent bon de ne fortifier que la rive nord du fleuve, entre les rivières Saint-Charles et Montmorency, une zone communément appelée la ligne de Beauport. L'Île d'Orléans, « indéfendable », de même que la Côte-du-Sud, furent abandonnées. La Pointe-Lévy(1) , une petite avancée de terre face à Québec ne fut pas protégée. Le 27 juin 1759, les troupes britanniques organisèrent une tête de pont sur l'île d'Orléans puis, deux jours après, un véritable débarquement à Beaumont. Un détachement de troupes légères anglaises occupa la Pointe de Lévy dès le 29 juin 1759 après une longue escarmouche contre un groupe de miliciens locaux dirigés par leur seigneur et capitaine, Étienne Charest.

        Le 30 juin 1759, le général Montcalm (2) alla rencontrer le marquis de Vaudreuil (3) afin de discuter de l'idée d'envoyer une troupe pour y déloger les Anglais avant qu'ils n'y soient fermement établis(4). Montcalm ne croyait qu'en la solidité de la ligne de Beaupré. Aussi ne poussa-t-il pas trop loin l'idée d'un coup de force.

        Le 1er juillet, le seigneur Charest se rendit à nouveau à la Pointe afin de constater s'il y avait déploiement de pièces d'artillerie mais ne put s'approcher suffisamment du camp. Le 2 juillet, il y fut à nouveau vers quatre heures du matin, et en revint avec une bonne description du cantonnement(5). Il confirma l'absence de canons. Montcalm remit aussi cette journée-là un Mémoire relatif à l'expédition de la Pointe de Lévis au gouverneur Vaudreuil. « Cette proposition, présentée dans tous ses détails et ses points de vue, n'a pas été acceptée » (6), écrira-t-il plus tard. Il faut dire que Vaudreuil ne prenait plus les décisions seul. Il existait un Conseil de guerre, où siégeaient, outre le gouverneur et le général, les aides-de-camp Bougainville et Lévis, le gouverneur de la ville Ramezay et quelques autres. Ce conseil servait davantage de lieu d'échange que de décision ce qui, conséquemment, les retardait. Dès lors, l'entrée en action des batteries anglaises n'était plus qu'une question de temps. La basse-ville de Québec se retrouvait ainsi menacée.

        Le 3 juillet, une trentaine d'habitants de la Pointe-Lévy et le même nombre d'Abénaquis, firent un coup qui leur permit de tuer plusieurs Anglais et de ramener un prisonnier. Ce dernier assura les Français qu'une attaque se préparait contre la ligne de Beauport. « Comme il était décidé dans le Conseil qu'il partirait la nuit quinze cents hommes pour la Pointe-Lévy […] ce malheureux prisonnier dérangea par sa déposition ce projet dont nous craignions les suites fâcheuses » (7).

        Le 7 juillet, un autre déserteur anglais déclara qu'il n'y avait environ que 800 hommes à la Pointe-Lévy, qu'on venait d'y installer deux canons et que le moral des troupes était bas. Impayés depuis 13 mois, ils ne voulaient ni travailler, ni se battre. Le prisonnier ne disait, en fait, pas toute la vérité. Le brigadier général Robert Monkton, à la tête de la première brigade, y maintenait déjà plus de 3000 hommes car « il n'y avoit plus personne à l'île d'Orléans et que le principal dépôt en fait de munitions étoit dans le retranchement fait à l'église de la Pointe de Lévy »(8).

        Pourtant, malgré les avis assurant la pertinence d'une telle équipée, l'ordre final de l'assaut tardait. Les Anglais profitaient de l'inertie du haut commandement colonial français pour aménager des redoutes , de charrier les canons et les mortiers à l'aide d'attelages de bœufs et de tranquillement les déployer à l'abri des arbres (9). C'est donc sans surprise que les habitants de la ville découvrirent le 11 juillet, vers midi, que les batteries ennemies étaient entièrement établies (10). Le 12 juillet, le tir des pièces anglaises débuta vers les neuf heures du soir(11). « Un feu très vif » selon Malartic(12). Le curé Récher souligne dans son journal qu'il ne fut pas très long avant que ses effets se fassent sentir. « Afin de faire cesser la canonnade et le bombardements des Anglais, qui retenaient toute la ville dans l'épouvante, et en particulier les femmes avec leurs enfants, en grand nombre près de la citadelle, dans les pleurs, les lamentations et les prières, qui étaient continuelles parmi elles; elles se mettaient par pelotons pour dire des chapelets»(13).

        Lévis rapporte dans son journal que « les habitants de Québec voyant avec crainte les batteries que les ennemis établissoient et qui devoient brûler ou écraser leurs maisons, demandèrent avec instance qu'il leur fût permis d'aller attaquer ces travaux »(14). Les Canadiens murmuraient que Montcalm oubliait de protéger la population. Courageux comme ils étaient, ils allaient prendre en mains cette opération et se couvrir de gloire.


Richard Short: Vue de Québec de la Pointe Lévy

        Vaudreuil reçut une délégation de citoyens conduite par le lieutenant général de la police, François Daine et l'agent du commerce Jean Taché, qui le pressa d'attaquer la Pointe-Lévy (15). « Fermentation dans les têtes des habitants de Québec, qui veulent gouverner et décider des opérations de guerre » (16), dira Montcalm. Vaudreuil accepta finalement de faire passer un corps expéditionnaire sur l'autre rive. Cela ne plut pas au général qui s'en plaignit à Lévis : « monsieur le marquis de Vaudreuil, mon cher chevalier, a dit amen, au mouvement projeté d'autant que dès qu'on lui parle de détermination à combattre, c'est lui faire bouillir du lait. Il n'y sera pas, et la pièce en sera plus tôt finie en bien ou en mal. En conséquence de ce, tous les ordres sont donnés..» (17).

        Le plan était simple. Un groupe de volontaires devait surprendre de nuit les Anglais, « enclouer » les pièces d'artillerie et démanteler leurs ouvrages défensifs. Cette opération fut confiée à Jean-Daniel Dumas, major et inspecteur des troupes de la colonie. Dumas s'était fait une gloire en remportant une solide victoire contre les troupes anglaises lors de la bataille de la Monongahéla, le 9 juillet 1755(18). Depuis, il conservait la confiance des autorités coloniales et était tout désigné pour cette aventure. On lui adjoignit, pour l'opération, François-Prosper Douglas, capitaine au régiment du Languedoc, à titre de commandant en second.

        D'après le journal du siège de Québec en 1759 de Panet, un parti de 500 Canadiens, 100 hommes de troupes de la colonie, 60 volontaires de différents régiments et 350 hommes de la ville fut détaché du camp sous Beauport. Le journal anonyme édité et annoté par Ægidius Fauteux parle plutôt de « 12 à 1500 hommes tant troupes réglées que canadiens et sauvages, qui tous sont volontaires » (19). Malartic, lui, parle de 2000 hommes. (20) Foligné parle de quinze cents hommes dont deux cents volontaires tirés des bataillons de la Sarre et du Languedoc qui, dirigés par deux lieutenants, devaient servir d'avant garde(21). Enfin, un auteur anonyme comptait 150 soldats des troupes de terre commandés par M. Douglas, quelques soldats de la colonie, environ 300 Canadiens et une grande partie des milices urbaines, soit 1200 hommes. Il rajoute : « qu'il en auroit eu un plus grand nombre si on avoit voulu laisser sortir tous ceux qui le demandoient instamment, il y eut même des magistrats qui s'offrirent avec empressement »(22).

        Parmi ces volontaires, se trouvait un groupe d'étudiants du séminaire de Québec. Cette compagnie « que des mauvais plaisants appel[ai]ent Royal-Syntaxe » (23) ou le collège(24) avait, le 18 juin précédent, reçu son équipement de combat. « Nous venons d'équiper de pied en cap au magasin du Roy, 35 séminaristes ainsi que des armes et des munitions qu'on leur a donnés »(25). « Les capots bleus » (26) portaient-ils leur uniforme scolaire « avec un petit liséré blanc sur les coutures »(27) et un tricorne noir? Rien ne le confirme. En fait, il est fort probable qu'ils se vêtirent de simples capots tirés des magasins du roi.

        Le détachement fut amené à quelques distances de Québec et caché dans les bois de Sillery. Il y attendit jusqu'à la nuit afin de ne pas se faire voir par les sentinelles anglaises. La nuit tombée, on mena une quarantaine de bateaux au Cap Rouge, à un endroit appelé l'Anse-des-mères (28), pour traverser à la Pointe de Lévy. Dès le départ, il ne semble pas y avoir de coordination entre les groupes. Laissons différents témoins de l'époque raconter l'équipée.

        « Sur les 11 heures _ du soir ils traversèrent de l'autre costé en assez mauvais ordre; ils débarquèrent à peu près dans le même goust. Ceux qui devoient marcher à la teste se trouvoient à la queue; finalement ils se mirent en marche; voicy quelle étoit leur disposition les sauvages marchoient devant et faisoient la découverte; ensuite étoit M . Dumas avec la compagnie de réserve ainsy que les picquets des troupes de terre; et la marine, séminaristes et plusieurs jeunes gens dans ce goust faisoient l'arrière garde. Lorsqu'ils furent montés sur la coste qui est beaucoup escarpée il y eut une espèce d'alerte les officiers crièrent de se tenir sur ses gardes; l'arrière garde voyant le centre qui défiloit crut que c'était les ennemis qui les approchoient : aussitôt sans plus de réflexion ils firent feu dessus; ceux qui étoit se replièrent pour voir ce que c'étoit de façon qu'une peur panique s'empara de l'arrière garde au pont de se jetter dans la coste où les uns ont perdu leurs chapeaux, fusils, épées souliers et même jusqu' à des bas; il y eut un Canadien de tué et deux de blessés » ( 29).

        Le récit du curé Récher laisse la même impression : « Dès qu'il fut passé au sud, la terreur se saisit des esprits de sorte que vers minuit ou un peu plus quelques-un d'entre eux, ayant aperçu à une petite distance un nombre considérable des nôtres, les prirent pour des ennemis et tirèrent dessus, en tuèrent un et en blessèrent quatre, ce qui mit la confusion dans nos gens, qui prirent la fuite pour la plupart. M. Dumas les rallia cependant en les rassurant; mais la crainte empêchant le plus grand nombre d'avancer, les uns s'arrêtaient un peu plus tôt, les autres un peu plus tard; de sorte que M. Dumas s'étant presque rendu aux retranchements des Anglais, à la tête du détachement, et y voulant faire la revue de son monde, ne trouva plus que 350 hommes; ce qui le détermina à les congédier, jugeant qu'il y aurait eu de la témérité à attaquer 700 hommes retranchés avec cette poignée de monde. Ainsi s'évanoui l'espérance qu'on avait conçu de cette expédition. Nos détachement revinrent sans avoir rien fait contre l'ennemi ». (30)

        Une autre version parle de « méprises commises par les sentinelles avancées qui conduisirent dans de si grandes erreurs que les Canadiens tirèrent trop précipitamment et s'étant fait découvrir, [ Dumas] ne put exécuter son projet. (31)

        Panet note qu'aux troupes de terre et de la Marine se sont joints « 350 hommes de la ville dont 17 hommes de la compagnie de réserve commandée par M. Glemet, M. Duchesnay a fait excuse d'y aller. Ce détachement se rendit à Sillery (sic)dans le jour. Il partit sur les neufs heures du soir pour traverser et ils traversèrent heureusement. À peine l'avant-garde marchait-elle que quelques écoliers (écoliers du Séminaire de Québec) et étourdis firent feu en haut d'une coulée sur leurs amis. On dit que de cette fausse alerte, il en déserta environ 600. Ayant monté et gagné une seconde côte, quelques soldats de (Royal) Roussillon firent une nouvelle alerte en criant à ceux qui étaient à la queue, que la cavalerie anglaise marchait: ce qui occasionna encore un repliement. Enfin, de ce beau parti, il ne trouva que M. Dumas, avec la compagnie de réserve et environ 300 hommes qui approchèrent d'une portée et demie de fusil du retranchement des Anglais ». (32)

        Dans les papiers Northcliffe une autre version décrit que l'expédition « traversa le fleuve une lieux (sic) et demye au-dessus de Québec, et débarqua sans être apperçu, après qu'on eut marché quelques temps, des hommes de la queue voulant gagner la tête prirent sur les côtes par dedans les bois et lorsqu'ils vinrent à rejoindre le gros, des Écoliers les prirent pour des ennemis et les fusillèrent. Il y eut un homme de tué et deux de blessés. Sur cette fusillade une terreur panique s'empara de tous les Canadiens que les vives représentations des officiers (tentèrent de de diminuer). Ils parurent reprendre courage, et se remirent à marcher, mais lorsqu'ils furent arrivés à la vue de la redoute qui couvroit la batterie quy faisoit l'objet de leur mission,la terreur les reprit et rien ne fut capable de leur ranimer le courage ny les prières ny les menaces des officiers, nombre jettèrent leurs fusils et leurs haches et se mirent à courir pour gagner les bateaux et à six heures du matin tout le détachement avoit repassé le fleuve, aux deux hommes près qui avoient été tués dans la méprise »(33).

        Enfin, c'est Foligné qui offre la narration la plus complète : « M. Dumas partit à la nuit avec quinze cents hommes pour se rendre au Cap Rouge, ou etoient les bateaux pour traverser et ou étant arrivé, il traversa avec tout son monde, desquels il destina environ cinquante hommes pour la garde de ses bateaux, et rangé son détachement sur deux colonnes, il marcha à la faveur d'une nuit des plus obscures jusqu'à la maison de Bourassard (Bourassa), distante de la batterie à une lieu, là, M. Dumas fit faire halte et envoya quelques françois et sauvages à la découverte, au retour desquelles sans avoir rien vûe notre détachement se remit en marche, mais les guides s'étant écarté, heureusement quatre-vingt habitants de la pointe de Levy rejoignirent M. Dumas lorsqu'il faisoit une seconde halte, ceux-cy connaissant parfaitement le terrain, tranquillisèrent beaucoup M. Dumas qui voulant se lever pour se remettre en chemin fut aperçu par quelques Canadiens treneur (trainards) qui ce trouvant le long d'une clôture crurent ce trouver face à l'ennemi, épouvante prirent la fuite qui occasionna la terreur au centre du détachement d'ou il partit une fusillade qui causa une telle déroute, sans qu'il fut possible à M. Dumas de rallier son monde, craignant lui même que les ennemis eussent entendu cette fusillade et vinssent mettre le comble au désordre crut devoir prudemment se retirer avec les troupes et ceux qui n'eurent pas part au désordre et ce replier vers les bateaux ou il trouva les deux tiers de son détachement embarqué qui se tinrent au large. Ce n'est qu'avec peine qu'il les fit remettre à terre ou il leur reprocha leur peu de cœur »(34).

        Que disent les Anglais de cette affaire? Peu de choses en fait. Dans son journal, John Knox parle de la « déception » des autorités anglaises qui s'attendaient à une attaque et s'étaient préparés en conséquence. Il ne semble pas y avoir eu de contact entre les Français et les Anglais.(35) Knox ne fait aucune allusion à un affrontement, pas plus que les chroniqueurs français.

        Que faut-il tirer des différents récits de cette opération? D'abord une chose ressort clairement : c'est une opération canadienne. Très peu de soldats réguliers ont participé à l'engagement. Montcalm, qui ne veut guère dégarnir sa « chère ligne » au profit d'une opération qu'il juge hasardeuse, paraît ne pas avoir trop incité les fantassins des bataillons des troupes réglées à y participer. On donne la chance à un officier, Douglas, de seconder Dumas; partage courant des officines entre les troupes coloniales et celles de terre pour éviter les persiflages. Dumas est un chef habitué à la guerre d'escarmouche, et aux camps volants ». Ses hommes, autant coloniaux que sauvages, le respectent. Il est le prétendant tout désigné pour la tâche. La pression populaire semble avoir attisé la décision du gouverneur général. Rapidement, peut-être trop, on forme le corps expéditionnaire. Le groupe est disparate. Aux habitués de la guerre se joint une panoplie de combattants inexpérimentés. Une mission comme celle-là exige une rapidité silencieuse doublée d'une efficacité sanguinaire. La milice de réserve, formée de petits bourgeois fiers de porter l'uniforme écarlate, les séminaristes et les autres novices s'y frottaient probablement pour la première fois.

        Improvisation? Mauvaises consignes? Incompréhension? Les chroniqueurs de l'époque ont parlé d'abord d'une espèce de confusion dans la progression de la petite armada. Le débarquement se fait mal, la soldatesque ne se dispose pas selon les ordres. Nonobstant, Dumas organise ses troupes et se lance à l'assaut des positions anglaises en deux colonnes. Le sol est difficile, escarpé. La noirceur aidant, les groupes se disloquent et se perdent de vue. L'arrière-garde tente un raccourci par les bois. Elle débouche sur une prairie entourée d'une clôture et croit apercevoir l'ennemi. Une « terreur panique » saisit les troupes. Un tel sentiment est généralement perceptible chez ceux qui connaissent leur baptême du feu. L'arrière-garde formée en partie des jeunes séminaristes se laisse impressionner par les conditions ambiantes et, se méprenant, tire… sur ce qu'elle ne voit pas. On imagine le reste, la découverte de l'impair, le râle des blessés et le découragement qui s'en suit. Les miliciens de la Nouvelle-France ont l'habitude de rompre le combat dès que l'engagement tourne mal, de disparaître dans la nature, de reformer leurs rangs et de ré-attaquer. Dumas qui a probablement exécuté un retrait stratégique près des barques dans ce dessein, vit un grand nombre de ses volontaires, entre la moitié et les deux tiers, se rembarquer vers Québec, laissant même derrière eux une partie de leur matériel.

        Dumas harangua durement les hommes (surtout des soldats) qu'il conserva autour de lui. Opiniâtre, il se lança à nouveau à l'assaut des positions britanniques avec l'idée de « culbuter les Anglois ». Là encore, la malchance se mit de la partie. Son avant-garde eut l'impression d'entendre venir la cavalerie (sic). Le courage flancha à nouveau, à proximité des positions anglaises. Dumas voulait bien remplir sa mission mais il n'était pas fou. Les Anglais devaient maintenant se tenir aux aguets et rien n'était certain quant à leur nombre. La sagesse incitait à rebrousser chemin, un dur choix pour une « Croix de Saint-Louis ». Le retour fut humiliant car « chacun étant accouru sur les hauteurs pour en voir le succès »(36). Montcalm qui ne s'était pas commis dans l'opération se permit tout de même un message de réconfort : « Dites à monsieur Dumas que je ne veux pas augmenter ses regrets de son mauvais succès mais que ses dispositions me paraissaient bonnes »(37). Beaucoup de pudeur dans les propos de quelqu'un qui manie habituellement le sarcasme et la critique facilement. C'est dire à quel point la mauvaise fortune s'était abattue sur cette péripétie. D'autres se montrèrent moins mesurer : « Huit jour auparavant [la population] murmuroit hautement que Mr. Le général ( Montcalm) ne leur permettoit pas de tâcher de garantir leur ville du bombardement; il y eu été plus honorable pour la nation et plus glorieux pour Mr. Dumas si Mr. Le général eut continué de les refuser »(38).

        Alors qui plaide coupable? Car dans une opération comme celle-là, il faut bien trouver des têtes de Turc. À demi-mots, on responsabilise les officiers qui n'ont su créer l'émulation nécessaire. Dumas n'a pas transcendé ses troupes et François-Prosper Douglas est demeuré un capitaine « sans talent » (39). L'opprobe tombe sur d'autres : les fautifs sont les membres du Royal Syntaxe. Les petits écoliers ont fait rater le coup. La récurrence des témoignages laisse en effet peu de doutes. Néanmoins, les 35 séminaristes ne formaient pas seuls l'arrière-garde. On parle aussi d'étourdis. Ces étourdis ne sont pas les 17 représentants de la milice de réserve. Ils accompagnaient les troupes de terre. Dumas y a laissé aussi un certain nombre d'hommes aguerris : des miliciens de la ligne de Beauport et des soldats des compagnies franches de la Marine. Ils n'ont pas été capable de raisonner ou d'encadrer les étudiants. Tout ce beau monde a déguerpi rapidement. Au nombre de personnes qui se sont rembarquées sans demander leur reste, on dépasse rapidement le quota des séminaristes. La couardise de ce grand nombre s'est par la suite malicieusement voilée de narquois bobards sur les jeunes. À la deuxième alerte, nul petit étudiant. Ce sont des fusillers du piquet des troupes de terre qui crurent entendre la charge de la cavalerie anglaise…(40).

        Alors, au total, cette opération fut-elle un si grave échec? Les pertes furent en fait légères. On parle, selon les versions, d'un ou deux morts et de deux à six blessés. Dumas continua à assumer le commandement de nombreuses missions. Ce sont davantage les effets consécutifs au maintien du tir des batteries qui s'avérèrent des plus funestes. L'Histoire confirmera le lourd tribut payé par les habitants de la ville de Québec suite aux bombardements. Ce sont 535 maisons québécoises qui ont brûlé et « il n'y en a pas une qui ne soit percée »(41). Dumas aurait-il rendu silencieuse la batterie de la Pointe-Lévy qu'il est fort à parier que les Anglais se seraient astreints à la rendre opérationnelle de nouveau. Enfin, que pèse l'opération du 12 juillet 1759 face à l'épisode final qu'est la bataille des plaines d'Abraham?

        Ce bref épisode historique a laissé un souvenir cocasse. La petite histoire en conserve le nom : le coup des écoliers. N'oublions pas cependant que cette équipée n'est pas qu'une simple frasque scolaire. Les nombreux récits présentés ici confiment que l'échec de la mission jeta « la ville dans la plus grande frayeur et dans une espèce désespoir » (42). L'événement fournit aussi un regard étonnant sur l'attentisme des autorités coloniales, sur les communications difficiles entre le gouverneur et Vaudreuil et le général Montcalm et questionne les stratégies adoptées par tous les partis. Pour conclure cette affaire, rappelons-nous que la résistance de la Nouvelle-France impliquait une mobilisation totale de sa population, y compris celle de ses séminaristes. Ils n'ont certainement pas voulu nuire à la défense de leur ville et dûrent longtemps subir les contrecoups de l'échec du 12 juillet 1759. Le théâtre militaire nord-américain favorisa finalement l'Angleterre. Par le Traité de Paris de 1763, la France cédait toutes ses possessions d'Amérique et ouvrait ainsi un nouveau chapitre de notre histoire.

par Dominique Laperle        
Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie, Outremont          

NOTES

(1) Nous conservons le toponyme de l'époque plutôt que sa version corrigée (Pointe de Lévis) et son nom actuel, Lauzon.
(2) ECCLES, William John : « Montcalm, Louis-Joseph de, marquis de Montcalm » Dictionnaire biographique du Canada (ci-après DBC), [CD-ROM], Toronto, Université Laval/University of Toronto/ TM James Multimedia services inc. Montcalm (1712-1759) reçu en 1756 la commission de maréchal de camp des troupes françaises en Nouvelle-France. Imbu de sa personne, défaitiste, il ne comprit jamais la réalité nord-américaine. Il n'appréciait pas les combattants canadiens, se fiant plutôt aux troupes de terre françaises.
(3) ECCLES, William John : « Rigaud de Vaudreuil de Cavagnial, Pierre de, marquis de Vaudreuil », DBC, [CD-ROM], Toronto, Université Laval/University of Toronto/ TM James Multimedia services inc. Vaudreuil (1698-1778), dernier gouverneur général de la Nouvelle-France, ne voyait la survie de la colonie qu'à travers de multiples raids lancés par les autochtones et les miliciens. « Cette petite guerre » rebutait au marquis Montcalm. Inutile de dire que les rapports entre les deux furent difficiles.
(4) CASGRAIN, Henri-Raymond : Collection des manuscrits du maréchal de Lévis. (Tome VII) Journal du marquis de Moncalm durant ses campagnes au Canada de 1756 à 1759., Québec, Imprimerie L.-J. Demers et frère, 1895., p.562. (ci-après MONTCALM )
(5) Le camp anglais était situé tout près de l'église de Beaumont. C'est de là que les pièces d'artillerie furent apportées.
(6) MONTCALM., p. 565
(7) PANET, Jean-Claude: Journal du siège de Québec en 1759. Montréal, Eusèbe Sénécal, imprimeur-éditeur., 1866, p.9
(8) HARMSWORTH, Leicester : Collection Northcliffe. Ottawa, F.A. Acland, imprimeur de sa très excellente majesté le roi, 1887, vol. XXX, p.255 (ci-après NORTHCLIFFE)
(9) NORTHCLIFFE : Op. Cit., p.255
(10) PANET, Jean-Claude : Op. Cit., p. 11
(11) KNOX, John : : An historical journal of the campaign in North America (Arthur G. Doughty ,ed.) Toronto, Champlain society1914-1916. (3 vols) vol.1 , p. 415 : « At nine o'clock this night a rocket was thrown up as a signal for our batteries and bomb ketches to play upon the town…»
(12) MALARTIC, Maurès, Gabriel et Paul Gaffarel : Journal des campagnes au Canada de 1755 à 1760.(Anne-Joseph-Hippolyte Maurès de Malartic) Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, Éditeurs, 1890., P.250. (ci-après MALARTIC)
(13) RÉCHER, Jean-Félix (abbé): Journal du siège de Québec en 1759. Québec, La Société historique de Québec, 1959, p.18
(14) CASGRAIN, Henri-Raymond : Collection des manuscrits du maréchal de Lévis. (tome I) Journal des campagnes du chevalier de Lévis en Canada de 1756 à 1760. Québec, L.-J. Demers et frère, 1889., p. 183. Lévis n'était pas sur place lors des événements. Il indique erronément la date du 11 juillet comme celle de l'événement.
(15) NORTHCLIFFE : Op. Cit., p. 255 : « les Notables […]intéressés à la conservation de leurs maisons s'assemblèrent et résolurent d'envoyer des députés auprès du gouverneur.»
(16) MONTCALM., p.571.
(17) CASGRAIN, Henri-Raymond : Montcalm et Levis. Québec, L.-J. Demers et frère, 1891, vol.2 p. 104.
(18) Il avait remplacé son chef, Daniel-Hyacinthe Liénard de Beaujeu, tué dès le début de l'affrontement. Il reçut pour ce fait d'armes la croix de Saint-Louis à 35 ans. Voir TAILLEMITE, Etienne : «Dumas, Jean-Daniel» DBC, [CD-ROM], Toronto, Université Laval/University of Toronto/TM James Multimedia services inc., 2000.
(19) FAUTEUX, Ægidius : Journal du siège de Québec, p.36
(20) MALARTIC.,p.250.
(21) Journal mémoratif de ce qui s'est passé de plus remarquable pendant qu'a duré le Siège de la ville de Québec par M. de Foligné. (Ci-après FOLIGNÉ) DOUGHTY, Arthur G. : The siege of Quebec and the Battle of the plain of Abraham. Québec, Dussault & Proulx, 1901, vol.IV, p.179
(22) Relations du siège de Québec (ci-après RELATION) dans DOUGHTY, Arthur G. : The siege of Quebec and the Battle of the plain of Abraham. Québec, Dussault & Proulx, 1901, vol.V, p. 313
(23) MONTCALM, p.551
(24) MALARTIC, p.243
(25) FAUTEUX, Æegidius : Op. cit., p.18. L'auteur rajoute le commentaire suivant : Cet armement suivant moy paroist très juste, il en faut absolument pour aller au combat, mais tout le reste me paroist assez hors de saison, d'autant que la plus grande partie de ces jeunes gens appartiennent à de bons bourgeois qui ont les moyens de les habiller; cependant personne n'est scandalisé de l'offre gracieuse; au contraire tout le monde l'accepte volontiers non pas tant je pense par interest comme c'est à cause que cela vient du Roy notre bon maître.»
(26) Au XVIIIe siècle, les habitants de la colonie tendent à délaisser le bleu qui prédominait avant 1745 au profit du brun, du gris et du blanc. Le surnom des séminariste paraît donc les caractériser au sein de la population de Québec. Voir à ce sujet BACK, Francis : « Le capot canadien : ses origines et son évolution aux XVIIe et XVIIIe siècles » Canadian Folklore canadien, vol. X, 1988, nos.1-2-, pp.99-127.
(27) BACK, Francis : « Des petits messieurs en capot bleu » Cap-aux-Diamants, [CD-ROM], Sainte-Foye, Les Logiciels de marque, 1996.
(28) NORTHCLIFFE : (Vol. XXVIII), p. 233
(29) FAUTEUX, Ægidius : Op. Cit.., p.36
(30) RÉCHER, Jean-Félix : Op. cit., p. 18
(31) Relation du siège de Québec : Op. Cit., p.313
(32) PANET, Jean-Claude : Op. cit., p. 12
(33) NORTHCLIFFE : (vol. XXX) Op. Cit., p. 256
(34) FOLIGNÉ.,p.181
(35) KNOX, John : Op. Cit., p. 419 : «General Wolfe has been these two nights past at our batteries with grenadiers, light infantry of this brigade, and some companies of marine, being in expectation of a visit from the ennemy who, by accounts brought by deserters, have crossed the river for that purpose, with near two thousand men, and where this day seen to return : the general was greatly disappointed at their not putting their menaces in execution, being well prepared to receive them ».
(36) NORTHCLIFFE : (vol. XXX) Op. Cit.,p. 256
(37) Lettre de Montcalm à Bougainville citée par FAUTEUX, Ægidius : Op. Cit., p.95.
(38) FOLIGNÉ., p. 180
(39) HENDERSON, Susan W. : « Douglas, François-Prosper » DBC, [CD-ROM], Toronto, Université Laval/University of Toronto/TM James Multimdia Services, 2000.
(40) Les listes des unités anglaises qui se retrouvent dans différents documents tant français que anglais, n'indiquent pas de cavalerie. Il est néanmoins possible qu'un petit nombre de soldats aient agis comme des dragons en employant des chevaux volés aux habitants. Mais du reste, cette unité, si elle a existé, n,a pas joué un rôle très important.
(41) MALARTIC., p.267.
(42) NORTHCLIFFE : (vol. XXX) p. 256 

BIBLIOGRAPHIE

I- Sources :

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T.I : Journal des campagnes du chevalier de Lévis en Canada de 1756 à 1760. (1889)
T.VII : Journal du marquis de Montcalm durant ses campagnes en Canada de 1756 à 1759. (1895)
DOUGHTY, Arthur G. : The siege of Quebec and the Battle of the plain of Abraham. Québec, Dussault & Proulx, 1901. (6 volumes)
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II- Articles et monographies :

BACK, Francis: « Des petits messieurs en capots bleues » Cap-aux-Diamants, vol.4 no.2 (été) 1988. [CD-ROM], Sainte-Foye, Les logiciels de Marque, 1996.
BACK, Francis: « Le capot canadien : ses origines et son évolution aux VIIe et XVIIIe siècles ». Canadian folklore Canadien, vol. X, 1988, nos. 1-2, pp.99-127.
CASGRAIN, Henri-Raymond : Montcalm et Lévis. Québec, L.-J. Demers et frères, 1891. (2 volumes)
CHARTRAND, René: Louis XV's army (vol.5) : colonial and naval troops, Londres, Men-at-arms series no.313, Osprey publishing, 1998.
CHARTRAND, René: Québec 1759. Londres, Order of battle series no.3, Osprey publishing, 1999.
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FRÉGAULT, Guy : La Guerre de la Conquête. Montréal, Fidès. 1975.