L'UNIFORME DES MEDECINS ET CHIRURGIENS MILITAIRES FRANCAIS

PENDANT LA GUERRE DE SEPT ANS (1756-1763)

 

par F.OLIER et J.L.VIAL

illustrations de P. JOUX

 

            Les historiens du service de santé militaire qui se sont penchés sur l'uniforme des personnels médico-chirurgicaux au XVIIIe siècle (O. de Prat, Brice et Bottet) ont fait remonter l'origine de celui-ci à l'ordonnance du 15 juillet 1757, date à laquelle les chirurgiens militaires français ont été réglementairement équipés d'une tenue particulière à l'instar des autres corps militaires.

            Ces mêmes historiens s'étonnaient dans leurs ouvrages d'une " lacune " : que les médecins militaires ne fussent dotés d'un même uniforme. Dans leurs études ils faisaient remonter, par défaut, la première attribution d'un uniforme aux médecins à l'ordonnance du 2 septembre 1775.

            La découverte, par l'un d'entre nous, d'un avis publié dans la Suite des Nouvelles d'Amsterdam nous permet de battre en brèche ce dogme " uniformologique " plus que centenaire et d'affirmer que les médecins militaires français ont été dotés dès 1759 d'une tenue réglementaire.

Aux origines

            Jusqu'à la Guerre de Sept Ans il n'est fait nullement mention d'un uniforme pour les personnels de santé aux armées. Ceux-ci suivaient les troupes " en bourgeois " et se confondaient avec la multitude d'employés, " à la suite des armées ". Il est certain que le chirurgien, surtout ceux des régiments, au contact quotidien des troupes disposait d'un statut privilégié mais il n'était pas alors question de le distinguer de la masse des " suiveurs ", vivandiers, charretiers ou domestiques. Il restait pour le combattant un civil.
            Le chirurgien n'était d'ailleurs que rarement au contact de la troupe sur la ligne des combats. Il attendait bien sagement en arrière, environné des employés requis avec lesquels il se confondait, qu'on lui apporte le blessé.
            Nous connaissons à travers l'ouvrage d'O. de Prat (voir bibliographie) l'habillement, en 1746, de François Pictet, chirurgien-major du régiment de Bettens-Infanterie suisse. Ce dernier disposait en campagne de " deux vestes d'habit, une de damas noir et l'autre de taffetas violet " dont il s'excusait de l'état d'usure. Son seul accessoire militaire était " une épée de campagne avec une dragonne à rubans frangés d'argent ". Mais point d'uniforme. Rien ne le différenciait en campagne du " bourgeois " si ce n'est cette " lardoire " qui ne pouvait servir que d'instrument de défense.

            Les chirurgiens-majors des hôpitaux militaires des places et citadelles et - a fortiori - les médecins attachés à ces mêmes hôpitaux ou à de grands chefs militaires s'habillaient en campagne de façon bourgeoise à l'exemple de leurs confrères des régiments.

Une innovation : l'uniforme des chirurgiens militaires (1757).

            Avant la Guerre de Sept Ans les personnels du service de santé militaire ne portaient que l'habit bourgeois. Cette tenue ne permettait pas aux belligérants de reconnaître dans le feu de l'action ces praticiens qui allaient de plus en plus opérer au milieu des troupes. En 1757, sur la demande de François Desport (Ca1709-1765) chirurgien en chef de l'armée de Westphalie et grâce au concours du Premier chirurgien du roy Germain Pichault de la Martinière (1697-1783), le secrétaire d'Etat à la guerre décidait de doter les chirurgiens militaires d'un uniforme particulier reconnaissable par tous qui devait les protéger des exactions de la soldatesque tant alliée qu'ennemie (lettre du 15 juillet 1757).

            " Uniforme que le Roy a réglé, tant pour les chirurgiens de ses armées que pour ceux des régiments, des hôpitaux et des forts et citadelles de ses places.

            Le drap sera de la couleur gris d'épine, conforme à l'échantillon ci-joint ; les habits seront faits en surtout avec de petits paremens rouges en botte, les poches en long, veste et culotte rouges et les boutons seront de fil d'or.

Celuy des chirurgiens-majors des armées aura un galon d'or ou en broderie, à leur choix.

            Celuy des aydes-majors aura six boutonnières d'or de chaque côté par devant, sçavoir une de chaque côté au-dessous du collet, deux plus bas et trois à la hauteur des poches, trois sur chacune des manches et trois sur chaque côté du derrière.

            On mettra seulement des boutons d'or à ceux des garçons.

            Les chirurgiens-majors des hôpitaux militaires et ceux des citadelles et forts du royaume auront des boutonnières en or des deux côtés, depuis le haut jusqu'en bas de l'habit et sur les deux derrières.

Celuy des aydes-majors des places sera pareil à celuy des aydes-majors des armées.

            Celuy des chirurgiens-majors des régiments sera semblable à celuy des chirurgiens-majors des places, mais ils auront des boutons pareils à ceux des régiments auxquels ils seront attachés.

            Fait à Compiègne, le 15 juillet 1757 - R. de Voyer de Paulmy. "

            Bien que la lettre du 15 juillet concerne l'habillement des chirurgiens de l'armée de Westphalie il apparaît au vu de nouveaux documents (BNF, bibl. Arsenal, Ms. 6690) que cette lettre-circulaire concernait l'ensemble des chirurgiens aux armées d'Allemagne (Haut et bas Rhin). Ces uniformes devaient être confectionnés à Paris dans le cadre de " conventions " sous la responsabilité du garde-magasin des effets d'hôpitaux à l'Arsenal de Paris, en charge du ravitaillement sanitaire au XVIIIe siècle. Quelques épaves de correspondance nous précisent ces dispositions :

            " Versailles, 17 août 1757 - M. le marquis de Paulmy désire, Monsieur[Andrieu], que vous vous chargiez d'envoyer aux dépens du Roy les habits que le sieur Bourdon, marchand drapier au Château d'Or, rue Saint-Honoré à Paris s'est chargé de fournir en conséquence de la convention qu'il a faite avec le sieur [Jacques-Philippe] Boucault, chirurgien-major de l'armée [de Richelieu]. Je vous envoye un état des noms et qualités de ces chirurgiens sur lequel vous pouvez vous régler pour adresser à chaque armée les habits qui doivent y être envoyés.
            Apostille : Répon[dre] le 19 qu'on attend la décision de la couleur de la doublure pour faire les habits. "

            Ces nouveaux uniformes étaient réceptionnés par Andrieu, garde-magasin des effets d'hôpitaux du roi à l'Arsenal de Paris, conditionnés en ballots et expédiés par voie de terre sur Strasbourg, centre logistique des armées d'Allemagne. De là les colis étaient chargés sur des bateaux du Rhin à destination de Mayence où ils étaient pris en charge par le magasin des effets d'hôpitaux de l'armée jusqu'à leur destination et leurs lieux de distribution. Ce processus était long et sujet à de nombreuses ruptures de charges entre Paris et l'armée. La campagne s'avançait et les chirurgiens se trouvèrent à la veille des quartiers d'hiver sans leurs nouveaux uniformes. Ceux-ci n'arrivèrent à l'armée de Soubise qu'en fin d'année 1757, bien après le désastre de Rossbach et la retraite précipitée sur le comté de Hanau.
            A mi-campagne, dès le mois d'octobre, les chirurgiens d'armée rendaient compte aux bureaux de Versailles de l'état de dénuement de leurs personnels. Jacques Bagieu, chirurgien-major de l'armée de Soubise " se plaint que les garçons chirurgiens sont pour la plupart avec des mauvais habits d'été " (Gotha, 3 octobre 1757). Plus tard, en décembre une autre correspondance précisait que les " chirurgiens n'ont pas leurs habits et se plaignent amèrement, la plupart d'entre eux étant tous nuds ".
            Un autre document conservé au service historique de l'armée de terre de Vincennes (Ya 128, Etat des dettes contractées dans le duché de Clèves et la principauté de Meurs..., 11 février 1763) donne le relevé d'une créance de 3,163 liv. 3 sols datant de 1757 dont le débiteur est Desport " général en chef des chirurgiens " au profit de Christian Jacobi, de Créveld pour la fourniture de " marchandises consistant en uniforme pour tous les chirurgiens de l'armée ". Il est probable que Desport ait complété l'habillement de ses personnels en faisant appel, sans attendre les envois de Paris, à des fournisseurs allemands.
            Il en fut probablement de même pour les chirurgiens-majors de régiments pour lesquels il n'existait pas de centralisation des confections et qui durent se précipiter chez les tailleurs hessois pour se faire tailler leur tout nouvel uniforme agrémenté de variétés vestimentaires et de " fantaisies " régimentaires (épaulettes, boutonnières, boutons supplémentaires, etc.).

Illustration: Chirurgien major, vers 1757

Une véritable découverte : le premier uniforme des médecins militaires.

            Comme nous l'avons annoncé en préambule, nous pouvons affirmer qu'à l'instar des chirurgiens, les médecins militaires français employés aux armées reçurent en 1759 un uniforme décrit par une insertion dans la Suite des Nouvelles d'Amsterdam du 25 mai 1759 (XLII, col. 6-7): 

            " De Paris le 18 mai [1759]. Le Roi a accordé aux médecins de ses armées et à ceux de ses hôpitaux militaires un uniforme qui sera de drap pourpre clair, habit veste et culotte. Il y aura un galon d'or de 14 lignes sur la longueur du devant de l'habit et de la veste et sur les poches tant sur la veste que de l'habit, avec un collet de velours noir.
            Les médecins en chef consultans de l'armée de même que les médecins inspecteurs des hôpitaux militaires du royaume auront pour marque de distinction un double galon de 20 lignes sur la manche qui sera en botte. Ce galon sera guilloché. Les boutons seront d'or à limace et finiront à hauteur de la taille. "

            En l'état actuel de notre recherche nous ne possédons pas d'autre pièce pour illustrer cette découverte qui retarde de seize ans la date d'attribution d'un uniforme aux médecins militaires. Il est probable que les modalités de confection et de distribution connurent les mêmes vicissitudes que celles des chirurgiens. De plus la couleur " de drap pourpre clair ", symbole de richesse et d'une haute position sociale, ne pouvait que prêter à confusion avec l'écarlate des commissaires des guerres, véritables ordonnateurs du service de santé militaire ; jaloux de leurs prérogatives et peu enclins à les partager avec des personnages qui n'appartenaient même pas au corps des officiers militaires. Dès 1775 (2 septembre) on revînt pour les médecins à des couleurs moins pompeuses, plus compatibles à leur état bourgeois, à l'habit de drap gris de fer. Toutefois le velours noir du collet de l'habit de 1759 fut sauvegardé, maintenu et même étendu, le 14 septembre 1776 (titre II, art. 4), aux chirurgiens dont les parements écarlates offusquaient grandement nos omnipotents commissaires. 

            Il reste encore beaucoup à découvrir sur l'histoire de l'uniforme des personnels médico-militaires y compris infirmiers. A titre d'exemple, il n'est pas impossible que demain l'on nous apprenne que l'uniforme des apothicaires militaires donné comme créé par le règlement du 1er octobre 1786 ne soit pas effectivement né à l'armée d'Allemagne, durant la Guerre de Sept Ans ?

illustration : Médecin en chef consultant de l'Armée, après 1759

Sources :

- Bibliothèque nationale de France, Arsenal, Paris. Ms. 6690, pièces 330 (17 août 1757), 332 (18 septembre 1757), 333 (26 décembre 1757), 334 (16 décembre 1757), 343 (3 octobre 1757).
- Service historique de l'armée de terre, Vincennes. cart. Ya 128 (armée de Soubise).
- Suite des Nouvelles d'Amsterdam, 25 mai 1759, XLII, col. 6 et 7.
- Carnets de la Sabretache, 1893, p. 425-426.
- BRICE et BOTTET. Le corps de santé militaire en France, ed. Berger-Levrault, Paris 1907.
- CILLEULS (J. des). Le corps de santé militaire sous la monarchie, depuis les origines jusqu'à la Révolution française, ed. SPEI, Paris 1961.
- PRAT (O. de). Médecins militaires d'autrefois, ed. Le léniforme, Paris 1934.

Chaleureux remerciements à notre illustrateur :

Pierre JOUX. 1 cours d'Orbitelles - 13100 AIX EN PROVENCE.

 

F. Olier