par Simon Lamoral Le Pipre de Neuville
(Première partie 1657-1658)

mise en page J-L Vial

Les deux Compagnies ne sont presque composées que de jeunes Seigneurs ou Gentilshommes, parce qu'étant une excellente école pour apprendre le métier de la guerre, ils y sont parfaitement leurs exercices ; aussi est-ce de cette admirable pépinière qu'on tire quantité d'Officiers de Cavalerie et ceux des principaux régiments d'Infanterie ; les autres qui s'attachent à cet illustre Corps, parviennent avec le temps aux Charges et Pensions ; jouissent des privilèges que Louis XIV y a attachés, tels que je l'ai fait voir en parlant de l'Institution, du Rang, &tc des deux Compagnies, il s'agit ici de mettre au jour les actions héroïques de ce Corps, qui s'est infiniment distingué dans la guerre de Hollande.; mais ayant donné dans la Chronologie des Capitaines-Lieutenants, et surtout dans l'éloge de Mr. de Troisville, un détail de tout ce qui s'est passé depuis l'institution de la première Compagnie jusqu'en 1646 qu'elle fut cassée, je ne commencerai ce journal qu'a son rétablissement en 1657 lorsqu'elle suivit le Roi à Sedan, afin d'être à portée d'assister l'Armée au siège de Stenay formé par le Marquis de Fabert.

Pendant le séjour que Sa Majesté fit à Sedan ; la Compagnie lui monta la Garde en l'absence des Gardes Françaises qui servaient à ce siège, de même qu'une partie des Mousquetaires marcha dans l'Armée commandée par le Maréchal de la Ferté qui assiégea Montmidi, où elle fut chargée de l'attaque d'un Fort, appelé le Moinneau, ce qu'elle exécuta avec tant de valeur, qu'elle l'emporta l'épée à la main.

En 1658 après que le Roi se fut rendu maître de Mardick, poste d'une grande importance pour ses projets ; Sa Majesté craignant à tout moment, malgré un grand nombre de troupes qu'on y fit mettre, et un gros corps d'Anglais qui y étaient, depuis l'alliance de cette Couronne avec la France, que les Espagnols ne l'assiégeassent, comme il avait beaucoup de confiance dans les Mousquetaires, il crut leur fournir une occasion favorable de se signaler ; c'est pourquoi il donna ordre au Duc de Nevers de se rendre à Calais à la tête d'une partie desdits Mousquetaires, qui furent suivis par un grand nombre de volontaires, afin de s'y embarquer pour Mardick ; à leur arrivée dans cette place, ils y trouvèrent Mr. de la Guillotière, commandant la Garnison qui devint très considérable par ce renfort ; de sorte que les Espagnols n'osèrent l'attaquer, ce qui donna le temps au Maréchal de Turenne de venir en mai former le siège de Dunkerque ; alors que les Mousquetaires sortirent de Mardick sous le Duc de Nevers, et se rendirent auprès du Roi, qui était aux environs de Calais, donnant ses ordres pour faire passer les convois au camp de Mr. de Turenne devant Dunkerque ; un Peloton de Mousquetaires tirés de toutes les Brigades, commandées par Mr. de Lauroëde Maréchal des Logis de la Compagnie, ayant eu ordre de se joindre aux Compagnies des Gendarmes et Chevaux Légers de la Garde, ils se rendirent ensemble dans la ville d'Ardres, pour être sous le commandement de Mr. de Montpesat Lieutenant Général : j'ai parlé de cette marche au Journal Historique des Gendarmes de la Garde. Dès que ce peloton de Mousquetaires fut arrivé au camp, il fut commandé de marcher avec l'armée aux ennemis qui étaient sur les Dunes; Mr. de Lauroëde les fit aussitôt mettre pied à terre, et chercha à les ranger dans la première ligne; un Officier peu civil et sans doute de mauvaise humeur, étant venu leur dire que ce n'était pas là leur poste, leur Commandeur ne fit d'autre réponse; " qu'il allait en prendre un qu'il ne lui envierait pas"; marcha dans le moment en avant, passa avec eux les pelotons des régiments de Bretagne, de Montgomery aujourd'hui Anjou, et ceux des Dragons du Roi postés sur la droite des Dunes entre les bataillons des Gardes Françaises, et fut se poster en particulier tant soit peu avancé; de sorte qu'il se trouva plus proche des Ennemis, que la première ligne de l'armée Française ; cette hardiesse scandalisa tellement le grand Prince de Condé, alors révolté contre le Roi, qu'il fit tout son possible pour les rompre ; mais il n'y pût parvenir, comme le Lecteur va le voir par le détail suivant.

Déjà la bataille était engagée entre les deux Armées, et les deux régiments de Condé Cavalerie rompus, lorsque le Grand Prince de Condé qui commandait l'Armée Espagnole fit avancer le Régiment Guitaut Cavalerie pour charger les Gardes Françaises, les pelotons nommés ci-dessus et les Mousquetaires du Roi, de même que ceux qui se trouvaient les plus avancés au pied des Dunes, comme le bataillon Suisse, qui avait chassé celui de Morsi plus avant sur les hauteurs ;cette Cavalerie de Guitaut étant presque toute passée par une espèce de brèche d'un Wattregans, où on ne pouvait être que 20 de front, les Mousquetaires firent une décharge si à propos sur cette Cavalerie,

 

qu'elle commençât à être mise en désordre ; alors les Régiments de Royal et de Grammont Cavalerie les prenant à gauche, les chargèrent si vivement en cet état, qu'ils achevèrent de les rompre en les poursuivant; mais le Prince sans perdre de temps, marchant à la tête d'un Escadron de Rochefort, suivi de trois autres de la Brigade de Meilles, mit à son tour en confusion ces deux régiments, que les Gardes Française sauvèrent en s'ouvrant; dans cet instant les pelotons des Mousquetaires et autres firent grand feu sur Mr. le Prince, de même que les Gardes Françaises qu'il voulut attaquer; les Gardes Suisses découvrant le flanc de ceux qui avaient attaqué les Gardes Françaises, ayant fait un quart de conversion, commencèrent du haut en bas, et d'assez près une furieuse décharge de leur manière d'Amphithéâtre sur les troupes Ennemies; les Mousquetaires postés au-dessous des Gardes Suisses importunaient de leur côté tellement le Prince à son passage, qu'il fit pour lors tout ses efforts sur eux, les faisant charger vivement, afin de les rompre et de les jeter sur le Bataillon des Gardes Françaises, pour les ouvrir et les mettre en désordre par cette ruse ; toutes les troupes se remuaient et s'animaient de part et d'autre, quand les Mousquetaires sans s'étonner, firent de leur terrasse, le genou en terre et par rang de dix à douze pas, une décharge sur le Prince, qui ne voyant pas de jour à donner du côté des Mousquetaires, tant à cause de leur fierté, que de leur feu qui était bien ménagé, l'obligea toujours suivi de Guitaut de tourner à gauche, en donnant brusquement des éperons à son cheval pour gagner le flanc du bataillon des Gardes, qui s'était trouvé un moment à découvert, obligea ce Prince de venir faire de la Cavalerie toute fraîche, croyant d'en pouvoir profiter; mais les régiments de Royal et de Grammont qui s'étaient ralliés après leur combat, vinrent faire tête en cet endroit, ce qui exposa tout de nouveau le Prince à ce grand feu des Mousquetaires, des autres pelotons et des Gardes Françaises, qui firent à bout portant des décharges si vives et si terribles, que tout le front des Ennemis fut rompu, de même que le flanc qui se trouva découvert aux Gardes Suisses, aux Mousquetaires, &tc ce qui donna lieu aux Escadrons de Royal et de Grammont d'entrer dans ceux des Ennemis par vingt endroits, de sorte qu'ils furent presque tous tués ou fait prisonniers: telle fut la fin de cette glorieuse journée, qui fit tant de gloire à ce peloton de Mousquetaires que tous les efforts du Prince de Condé, qui courut risque de la vie, ne purent ébranler, ni faire sortir de leur poste, d'où ils firent un mal infini à la Cavalerie du Prince, qu'ils mirent plusieurs fois en confusion; Louis XIV a souvent raconté cette action avec un plaisir infini.


Plan de la bataille des Dunes - 21 juin 1658
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Après cette glorieuse expédition les Mousquetaires retournèrent avec l'Armée devant Dunkerque, où Mr. de Turenne pour leur témoigner son grand contentement, mis ce peloton commandé par Mr. de Lauroëde de tous les détachements de l'Armée destinés pour se rendre à la tranchée, et se joindre à son Régiment qui était de garde et qui avait ordre d'attaquer la contrescarpe: à peine le signal fut-il donné que les Mousquetaires marchèrent aux Ennemis avec une si noble ardeur, et se jetèrent dans le chemin couvert avec une si noble intrépidité, qu'ils emportèrent malgré le feu épouvantable des Ennemis, tout ce qui leur était opposé, contribuant par leur valeur à faire le logement sur la contrescarpe: pendant que ce peloton des Mousquetaires faisait des merveilles à ce siège, le Roi marchait avec sa Compagnie des Mousquetaires et toute sa Maison pour venir à l'Armée; arriva à 10 heures du matin devant Gravelines, où il devait passer la rivière d'Aa sur l'Estang à la portée du canon de cette place; Sa Majesté voulant elle même escadronner, mit sa Maison en ordre; elle était composée des Gardes du Corps, des Gendarmes et Chevaux Légers de la Garde qui avaient marché au-devant d'elle et de ses Mousquetaires; la garnison de Gravelines quoique formée d'un gros corps de troupe, n'osa se présenter, de sorte que ce Monarque parvint tranquillement à Mardick, où étant arrivé à midi il mit pied à terre, tant il avait pris ses mesures pour profiter de l'heure de la basse marée, sans quoi ce trajet était impossible; franchit cet endroit malgré les coups de canon qui pouvaient aisément porter jusqu'à lui; se mit ensuite en marche pour se rendre au camp, et dans le temps qu'il voulait aller considérer le fort près toute la ville, et s'avançait vers le Fort-Léon pris depuis peu de jours, les Assiégés battirent la chamade dont il porta lui-même la nouvelle au cardinal de Mazarin qui était resté à Mardick, le peloton des Mousquetaires ayant rejoint la Compagnie; suivit le Roi et ne le quitta plus pendant tout le reste de la Campagne.

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 Jean-Louis Vial