par Simon Lamoral Le Pipre de Neuville
(seconde partie 1659-1672)

mise en page J-L Vial

En 1659, la Compagnie habillée tout de neuf accompagna Sa Majesté sur les frontières d'Espagne, lorsque ce Monarque alla recevoir la Reine sa future épouse, et fut de leur entrée à Paris qui se fit en août 1660, elle était précédée de la nouvelle Compagnie des Mousquetaires que le Cardinal de Mazarin venait de faire présent à Sa Majesté: j'en ai parlé plus précisément dans l'Institution des deux Compagnies.

En 1663, la seconde Compagnie ayant été montée pour la première fois, marcha avec la première dans l'Armée du Maréchal de la Ferté ; furent de son expédition en Lorraine, et servirent au siège de Marsal dont ce Général se rendit maître.

En 1665, Louis XIV commanda un détachement des deux Compagnies, consistant en 240 hommes, pour se rendre sous les ordres de Mr. de Pradel Lieutenant Général, qui devait conduire un corps de troupes au secours des Hollandais contre l'évêque de Munster, j'ai parlé ailleurs de cette expédition ; après leur retour en France, les Compagnies formées chacune de 300 , furent du camp que le Roi fit près de Fontainebleau; le suivirent en 1667 au camp de Compiègne, d'où elles marchèrent avec l'Armée à l'expédition de Flandre; servirent à se rendre maître de Charleroy, de Tournay et de Douay, qui tinrent si peu, qu'elles n'eurent pendant ces trois sièges aucune occasion d'exercer leur valeur; il n'en fut pas ainsi à celui de Lille qui se fit immédiatement après en août; ayant aidé à investir cette place, elles furent de l'ouverture de la tranchée la nuit du 18 au 19, la deuxième Compagnie y monta la garde à la queue avec les Gardes du Corps pour soutenir l'infanterie, et la première la monta avec d'autres Régiments de Cavalerie la nuit du 23.

Le 26 le Roi ayant pris la résolution de faire donner l'assaut à deux demi-lunes, commanda extraordinairement les deux Compagnies qui se rendirent au pied de la tranchée. Après les dispositions faites et que le signal eut été donné, elles marchèrent à droite par deux endroits, pendant que les Gardes Françaises attaquèrent par la gauche; les Mousquetaires ayant à leur tête Mr. de Montbron Sous Lieutenant de la seconde Compagnie, y marchèrent avec tant d'ardeur, qu'ils entrèrent dans la demi-lune les premiers à droite; Mr. de Montbron ayant rencontré 200 Espagnols, la sentinelle lui demanda plusieurs fois, qui vive, en marchant toujours lui répondit, amis, jusqu'à ce qu'il vît que ses Mousquetaires approchaient, alors criant, vive Louis, il marcha à leur tête avec toute la vigueur imaginable; la rapidité avec laquelle cette brillante jeunesse montait cette demi-lune, donna une telle frayeur aux ennemis, que tous ceux qui se sauvèrent de la mort, se jetèrent dans le fossé, où ils se noyèrent, de sorte que de 200 Espagnols qu'ils étaient, il n'y en eut pas un qui rentra dans la ville; après une horrible boucherie, ils travaillèrent à s'y établir, et à faire un logement, de sorte que par la communication qu'on fit pendant la nuit, la ville fut obligée à capituler et à se rendre le lendemain; dès que le Roi eut donné ses ordres pour la conservation de cette place, il retourna à Versailles avec les deux Compagnies.

En 1668 ils suivirent derechef le Roi à son expédition de la Franche-Comté; cette province fut subjuguée en su peu de temps qu'elles n'eurent aucune occasion de se signaler; du moins ni les histoires ni les mémoires du temps n'en disent rien; lorsqu'on attaquait les dehors de la ville de Dole; en mai la paix s'étant conclue à Aix-la-Chapelle, elles retournèrent à Versailles avec Sa Majesté.

En 1669 la ville de Candie se trouvant extrêmement pressée par les Turcs, les Vénitiens envoyèrent solliciter avec empressement Louis XIV d'y envoyer du secours; ayant obtenu leur demande, 104 Mousquetaires commandés par Mr. de Montbron et Mr. de Maupertuis Cornette de ce Corps, eurent ordre de se rendre à Toulon pour passer dans ce pays avec le corps de troupes qui était sous le Duc de Navaille, Lieutenant Général; s'étant embarqués sur la Flotte ils arrivèrent heureusement dans cette ville qui se trouvait très serrée par ces Infidèles; le Duc de Navaille se vit d'abord obligé à faire des dispositions pour une grande sortie; comme ce détail doit être dans les Gardes Françaises, je ne donnerais ici que ce qui concerne les Mousquetaires, commençant après l'accident des poudres; selon la disposition des troupes dans cette grande sortie, les Mousquetaires mis entre la première et la deuxième ligne afin d'être à portée de donner où il serait à propos; furent spectateurs de tout jusqu'au moment que le feu prit dans les poudres, ce qui causa parmi l'Infanterie une frayeur affreuse: les Turcs jusqu'alors battus et mis en désordre par cette Infanterie s'en étant aperçus, reprirent du courage et marchèrent à leur tour contre les Français; le Duc de Navaille voyant leur dessein, les fit charger par des troupes de Cavalerie qu'il avait auprès de lui, mais d'autres Turcs s'étant joints à ceux qui venaient de la montagne, poussèrent cette Cavalerie, et s'avancèrent pour lui tomber sur les bras; ce fut alors que ce Général vint se mettre à la tête des Mousquetaires et de ses Gardes, après avoir ordonné à l'escadron de Saint Étienne de le suivre; les Mousquetaires animés par sa présence attaquèrent avec ardeur les Turcs, les poussèrent et gagnèrent le terrain dont ils s'étaient rendus maîtres, de manière qu'on peut avancer qu'ils auraient rétabli toutes choses sans cette terreur panique qui s'était jetée dans l'Infanterie, et qui fut su grande qu'on fût obligé de se retirer dans la ville; un ou deux jours après cette action ils se signalèrent encore, la ville se trouvant en grand danger du côté de la Sabionnette, parce qu'il n'y avait aucun retranchement: les Turcs étaient déjà aux mains quand le Comte de Choiseul y courût avec ce qu'il put assembler de Troupes, les Mousquetaires ne furent pas des derniers à le suivre; Mrs. de Maupertuis, Saint Vincent et Chalois Officiers de ce corps, y volèrent avec ce qu'ils purent ramasser en petit nombre, et quoi qu'il n'y eut en ce lieu que les Gardes du Duc de Navaille et 200 hommes du régiment de Lorraine, ils bordèrent la faussebraye et le parapet, y firent ensemble une si vigoureuse résistance, que les Turcs montèrent deux fois à la brèche soutenus par un feu continuel de bombes et de grenades, ce qui n'empêcha pas qu'ils fussent repoussés et chassés au-delà de leurs premiers travaux avec une perte de leurs plus braves soldats; et si les Français ne forcèrent pas les Infidèles à lever le siège, ces deux actions leur furent très glorieuses et particulièrement aux Mousquetaires. Il y eut parmi ceux de ce Corps Mrs. de Carignan et des Combes, Brigadiers de tués, Mrs. de Rigauville et Prinville, Maréchaux des Logis, blessés; les deux Compagnies y eurent chacune 30 Mousquetaires blessés; Mr. de Montbron qui commandait ceux de la seconde Compagnie s'y distingua beaucoup; le lendemain de cette deuxième action les troupes se rembarquèrent pour retourner en France; après avoir pris terre à Toulon, les Mousquetaires allèrent à Paris rejoindre leurs Compagnies.

En 1670, après avoir suivi le Roi en Flandre, elles se rendirent au camp du Duc de Lauzun, où Sa Majesté passa les troupes en revue; de même l'année suivante au camp devant Dunkerque commandé par le Comte de Duras; vers le mois d'octobre de cette année Mr. d'Artagnan Capitaine Lieutenant de la première Compagnie des Mousquetaires, eut ordre de former un détachement des deux Compagnies pour se rendre dans la ville de Châlons, et de dire aux Mousquetaires qu'ils prissent avec eux une ou deux chemises; à peine furent-ils arrivés dans cette place qu'ils trouvèrent à leur grande surprise, un autre ordre de marcher dans l'Électorat de Cologne; ce qu'ils exécutèrent d'abord sous la conduite du Comte de Montbron, Capitaine Lieutenant de la seconde Compagnie, où ils furent mis en quartier d'hiver avec 10 000 Français commandés par le Comte de Montal, ils y restèrent tranquille dans ce pays jusqu'en mai 1672. Louis XIV ayant déclaré la guerre aux Hollandais dès le mois d'avril, les Mousquetaires qui étaient restés auprès du Roi marchèrent avec lui sur la Sambre au-dessus et au-dessous de Charleroy, où l'armée s'était assemblée; après la revue ils le suivirent jusqu'au Rhin; le détachement qui était dans l'Électorat de Cologne, après s'être déjà distingué y rejoignit le Roi: de sorte que ce corps se réunissant dans cet endroit, eut la gloire comme toute la Maison du Roi de passer ce fleuve à la nage rangés en escadrons en présence de Sa Majesté; après le passage du Rhin aucune place ne tenant devant ce grand Monarque, qui ne vit pas même d'Ennemis se présenter devant lui; il fut le 18 juin à la tête de son armée pour investir Doësbourg, pendant ce siège les deux Compagnies de Mousquetaires ayant eu ordre de se joindre à 1500 chevaux commandés par le Marquis de Rochefort Lieutenant Général marchèrent droit à Utrecht, qui leur ouvrit ses portes, où 100 Mousquetaires furent mis aux deux portes qui furent livrées; après quoi ils furent de la marche dudit Marquis jusqu'à Amerfort, d'où ils revinrent pour escorter le Roi à son entrée à Utrecht, qui la fit le 30 juin; lorsque ce Monarque retourna en France, les deux Compagnies avec toute sa Maison l'accompagnèrent jusqu'à Saint Quentin, delà revinrent camper sous Mastricht; après y avoir resté peu de temps, les deux Compagnies et cette Maison passèrent sous le Maréchal de Turenne: ayant parlé particulièrement de cette marche dans le journal des Gardes du Corps, il suffit de rapporter ici ce qui arriva aux Mousquetaires en particulier quand il fallut marcher; je l'ai tiré des Mémoires de Mr. d'Artagnan; "Quand, dit cet auteur, il fut question de marcher sous Mr. de Lançon, Lieutenant des Gardes du Corps pour aller joindre le Vicomte de Turenne, il y eut une révolte dans les deux Compagnies, particulièrement ceux qui avaient marché l'année dernière au pays de Cologne, et furent une trentaine qui repassèrent en France par les Ardennes; à leur arrivée à Paris, ils furent tous arrêtés et mis au Fort l'Évêque," ce qui fait connaître que la discipline n'était pas encore parvenue dans cette perfection, ni dans cette subordination qu'elle est aujourd'hui.

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 Jean-Louis Vial