par Simon Lamoral Le Pipre de Neuville
(troisième partie 1673)

mise en page J-L Vial

En janvier 1673, les deux Compagnies, qui étaient en quartiers d'hiver du coté de Trèves le long de la Moselle, eurent ordre de passer le Rhin avec l'armée sous le Maréchal de Turenne pour se rendre dans le Comté de la Marck appartenant à l'Électeur de Brandebourg; après plusieurs expéditions faites dans ce pays dont j'ai parlé ailleurs, les Mousquetaires y furent mis à discrétion de même que le reste de l'armée jusqu'en mars, que ce Électeur fit un traité de Paix avec Sa Majesté, ce qui fut cause qu'ils retournèrent dans les quartiers qu'ils avaient quittes avant d'entrer dans ce pays, y restèrent jusqu'en juin, qu'ils furent commandés d'aller trouver Louis XIV devant Maastricht, où ils joignirent les Détachements des deux Compagnies, qui n'avaient point quitté ce Monarque. La nuit du 6 juin, 150 Maîtres étant sortis de la ville, repoussèrent les Gardes du Camp jusque dans leur Camp même, et leurs prirent un étendart; 20 Mousquetaires qui avaient à leur tête les Sieurs de Jauvelle, de Maupertuis, de la Hoguette, et le neveu de Mr. d'Artagnan, marchèrent avec eux avec une telle intrépidité, qu'ils reprirent aussitôt l'étendart, les repoussèrent à leur tour, et se mêlant parmi eux, en tuèrent une vingtaine, blessèrent le Comte de Broye, malgré le canon de la ville, sans autre perte de leur côté, que deux des leurs, avec le Sieur Pagnat Maréchal des Logis de la seconde Compagnie. Pendant ce siège, les Mousquetaires montèrent la garde à la queue de la tranchée pour soutenir l'infanterie; il n'y arriva rien de remarquable pour ce Corps jusqu'au 24 juin que la brèche de la demi-lune étant praticable, le Roi les commanda extraordinairement pour cet assaut, après s'être rendus à la tranchée, et qu'on eut fait les dispositions, la première Compagnie fut commandée pour attaquer la demi-lune sèche, et la seconde les palissades entre la demi-lune et l'ouvrage à corne; elles étaient soutenues de divers corps de troupes, sous les ordres de Mr. de Montmouth Lieutenant Général, du Comte de Montal Maréchal de Camp, des Marquis de Beringhan et de Hautfeuille Brigadiers, Officiers Généraux de jour; à peine eut-on donné le signal par quelques coups de canon, que les Mousquetaires volèrent avec une intrépidité sans égale aux palissades et à la demi-lune sèche, qu'ils emportèrent après une médiocre résistance, malgré le feu de 2.000 hommes qui gardaient cet ouvrage, les fourneaux, six mille grenades et autres feux d'artifices qu'on jeta de la place; comme rien n'était capable de les rebuter, ils y virent sans émotion deux fourneaux jouer, dont un n'eut pas son effet; mais celui de l'autre fut si terrible, que les spectateurs crurent en voir jouer 6 ou 7 parce que les assièges jetaient des monceaux de poudre dans ce feu et du godron, tant pour éclairer, que pour intimider. Après cette expédition les Mousquetaires s'étant retirés, laissèrent l'Infanterie pour faire le logement; le lendemain environ les 10 heures du matin, lorsqu'on croyait avoir assuré non seulement le logement de la demi-lune, mais encore avoir découvert le reste des fourneaux qui devaient jouer, les Troupes furent très étonnées d'en voir encore un sauter, et de se trouver accablées par une vigoureuse sortie; ces Troupes troublées d'un événement si peu attendu, furent rechassées de la demi-lune que les ennemis regagnèrent, mais pour peu de temps, car Mrs. de la Feuillade Lieutenant Général, et de Vaubrun Maréchal de Camp, qui se trouvèrent par hasard dans le moment à la tranchée, jugeant bien qu'il serait difficile de la reprendre et de la conserver, si on n'y envoyait pas des gens frais et d'une grande valeur, firent demander à Mr. d'Artagnan quelques Mousquetaires qui était avec lui; et quoiqu'il ne fut point commandé, ni de jour, voulant avoir sa part à la gloire et au péril de cet illustre Corps; il se mit à leur tête, et si dans cette occasion tout ce que peu faire un grand et brave Capitaine, aussi y fut-il tué: j'en ai parlé à la Chronologie des Capitaines-Lieutenants de sa Compagnie; le Comte de Montmouth s'étant mis aussi à leur tête, les avait mené à cette demi-lune, où il firent éclater des prodiges de valeur, et d'où ils chassèrent les ennemis l'épée à la main, malgré leur vigoureuse résistance, qui avaient mis pour conserver ce poste quantité d'Officiers et de Soldats volontaires d'une valeur reconnue, de sorte que par le courage des uns et des autres, on ne vit bientôt que combats particuliers, qui ne se terminaient que par la mort des deux parties, les corps des morts et des blessés dont la place était jonchée, semblaient ranimer leur fureur bien loin de la ralentir; mais enfin après un sanglant et opiniâtre combat et de longue durée, les Mousquetaires parvinrent par une bravoure extraordinaire à forcer les ennemis, et à se rendre de nouveau maîtres dudit poste; c'est donc avec beaucoup de justice, qu'on attribue toute la gloire de cette action aux deux Compagnies des Mousquetaires, en effet elle fut aussi éclatante que le péril fut grand, puisque cette victoire leur coûta bien cher, ayant perdu le Comte d'Artagnan, et près de 80 Mousquetaires outre 50 de blessés, dont 15 moururent en entrant à l'hôpital; tous ceux qui se sauvèrent de la mort, ayant eu leurs épées faussées et ensanglantées jusqu'à la garde: je donnerai plus bas une liste des tués et des blessés. La valeur de cet illustre Corps fut telle, que la première Compagnie repoussa les ennemis jusque sur le pont; que la seconde fit également des prodiges à son attaque, et ce qui les couvrira toutes deux d'une gloire immortelle, c'est qu'on n'en vit pas un de ce Corps reculer, comme l'assurent les Lettres de Mr. de Pelisson Tome Ip.328.

Cent Mousquetaires noirs eurent encore part à l'attaque de l'ouvrage à la corne, comme je l'ai fait voir au journal historique des Gardes du Corps, et comme je le dirai encore dans celui des Gardes Françaises; je rapporterai seulement ici, qu'ayant été postés à la gauche des Gardes Françaises et Suisses, ils firent éclater autant d'ardeur et de courage à cette attaque qu'à celle de la demi-lune: puisqu'après avoir assisté à emporter la contrescarpe, s'étant jetés dans le fossé, pendant que les Gardes Françaises enlevèrent l'ouvrage à la corne par les deux pointes et par le flanc; de sorte qu'ils montèrent sur cet ouvrage à corne, dont le canon avait emporté les fraises, y entrèrent pêle-mêle par le derrière avec les fuyards, coururent à une redoute qui était dans le milieu de l'ouvrage, d'où les assièges avaient tiré un retranchement à droite et à gauche afin de couper la corne en deux, et s'en rendirent maîtres: s'y logèrent victorieux; de façon que ne restant plus aux assiégés que deux demi-lunes en mauvais état, le Gouverneur fut obligé de capituler; cette illustre action ne put se faire sans une grande effusion de sang: en effet 40 ou 50 desdits Mousquetaires y furent tués ou blessés.


Prise de Maestricht - 26 juin 1673
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Voici la liste des Officiers et Mousquetaires tués et blessés à l'attaque de la demi-lune sèche, venus à ma connaissance.

Mr. d'Artagnan Capitaine Lieutenant de la première Compagnie et Lieutenant Général fut tué.
Mr. de Tayac Maréchal des Logis tué.
Mr. de Malicorne Maréchal des Logis blessé à mort.
Mrs. de Montfort, de la Volpilliere, Vandoire, et la Paillerie Mousquetaires tués.
Mrs. Cussin, Verdun, Verrajon, et Grainville blessés à mort.
Les Srs. la Garrigues, Ferragues, Valière, Cœurlis, la Chassagne, de Dais, St. Fremont, la Tauchade, Bercourt, Sartons, Dabeau, le Viston, Colombe, Vaugranges, Laubière, le Cadet, Blanchefort, la Sablonnière, Cermuise, la Lande, Mazière, Pujols, Pilleroin, Palogue, Laval, d'Albon, Francheville, d'Olivet, Prepetit, Moulineaux furent blessés.

Autre liste des Officiers et Mousquetaires parvenus à ma connaissance, qui furent tués et blessés pendant tout ce siège.

Mr. Pagnat Maréchal des Logis de la deuxième Compagnie fut tué dans l'action de 20 Mousquetaires, qui s'opposèrent à la sortie des 150 Maîtres.
Le Marquis de Maupertuis Enseigne de la première Compagnie blessé.
Le Marquis de la Hoguette Cornette blessé.
Le Marquis de Montpapoul Maréchal des Logis, Mrs. Mallet brigadier, de la Barre, Castelviel, Montglas, Castelbrunier et Mareau Sous Brigadiers blessés.
Mrs de la Roche, Levemont, Chalidet, Villehaut, Bertière, Merville, Pommais, Fillesin, Jabat, Bellon, la Clause et du Feu Mousquetaires tués.
Mrs. d'Aligni, Betons, Chastein, de Laste, d'Anglure, de Voux, le Chevalier de Vignole, Boisroger, Ratoux, Boischandon, Desertang, St. Jame, Babi, Petout, Roussi, Boisgamar, la Sallieure, Marsecot, Passin, la Pierre, Selière, du Hamel, Bonnegarde, de l'Orme, Sousterre, Partebie, Dausnoux, Corf, des Fougerais, Dancant, Picardin, Vaucelle, Bajet, Montchigny, des Ambrunes, la Guinottière, Coussins, le Mailleur, Fabre, la Fond, Remondie, des Vallées, Barboutin, St. Cyr &c. furent blessés.

Il est juste qu'après avoir nommé ceux qui ont si vaillamment versé leur sang dans cette occasion, de rapporter la générosité de Mr. de St. Leger premier Maréchal des Logis de la Compagnie de Mr. d'Artagnan; St. Leger ne voyant point revenir son Capitaine de la demi-lune, résolut d'aller le chercher quelque péril qu'il y eut dans l'espérance qu'il pourrait le sauver, et comme Mr. d'Artagnan était très aimé de sa Compagnie, trois ou quatre Mousquetaires s'offrirent pour le seconder dans ce généreux dessein; à peine furent-ils à l'entrée de la demi-lune, qu'ils l'aperçurent mordant la poussière, étant reconnaissable à ses armes, ce qui les saisit de douleur; mais comme le temps n'était pas propre pour s'y abandonner, ils ne songèrent qu'à exécuter leur entreprise, dont ils vinrent à bout, malgré l'opposition des ennemis, et qu'un d'eux eut été blessé.

La mort de Mr. d'Artagnan apporta beaucoup de changement dans la Compagnie; Mr. de Forbin Major des Gardes du Corps eut sa place de Capitaine Lieutenant, Mr. de la Rivière Sous Lieutenant étant d'un age fort avancé se retira avec 25.000 mille écus, dont le Roi le gratifia, et une pension annuelle de 100 écus.
Mr. de Maupertuis, Enseigne, eut cet emploi.
Mr. de la Hoguette, Cornette, fut enseigne.
Mr. de Moissac Aide Major aux Gardes, qui donna des marques très distinguées de sa valeur pendant ce siège, eut la Cornette, quoi qu'elle dut appartenir à Mr. de St. Leger dont je viens de parler; mais Sa Majesté qui entrait avec beaucoup de bonté dans le détail de la fortune de ses moindres Officiers, sachant qu'il n'était pas riche, et chargé de famille, lui donna dix mille écus, ce qui lui fut beaucoup plus utile. Après que Louis XIV eut pourvu à tout ce qui était nécessaire pour la conservation de Maastricht; il partit pour se rendre par la Lorraine dans la Haute Alsace, où les deux Compagnies l'accompagnèrent.

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 Jean-Louis Vial