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par Simon Lamoral Le Pipre de
Neuville
(cinquième partie
1676-1677)
mise en page J-L
Vial
En 1676 ,
elles accompagnèrent ce Monarque devant Condé
qu'il assiégea en personne; à l'attaque de
tous les dehors de cette Ville, elles furent
commandées extraordinairement et postées aux
deux bouts de l'attaque, les Mousquetaires blancs à
la droite, et les noirs à la gauche où
était le Maréchal de Lorges; huit bataillons
furent encore commandés pour cette même
attaque; ils y donnèrent tous avec tant de
vivacité et de courage, que tous ceux qui ne
s'enfuirent pas avec vitesse dans la Ville, furent
tués: les Mousquetaires firent des merveilles dans
cette occasion, ils suivirent les ennemis de si près,
que plusieurs entrèrent dans la Place avec les
fuyards, et y furent enfermés, ce qui consterna
tellement les Assiégés, qu'il battirent
incontinent après la chamade. Parmi les Mousquetaires
blancs qui avaient été à l'attaque de
la droite sous le Maréchal d'Humières, Mr. de
la Hoguette Enseigne de la première Compagnie, y fut
blessé d'un coup de pique. Une des deux fougades qui
jouèrent fit sauter à quelques pas Mr. de
Jauvelle Capitaine-Lieutenant de la deuxième
Compagnie, et le Marquis de Vinson Sous Lieutenant, sans
autre mal que de n'avoir été un peu
brisés. Le 2 mai, le Roi craignant pour la Ville de
Courtray, parce que le Prince d'Orange faisait faire de
grands magasins à Ipres, ordonna aux deux Compagnies
d'aller se jeter dans cette Place avec 800 dragons, et six
escadrons sous les ordres du Maréchal
d'Humières, ce Maréchal qui fit halte à
Mortagne, voyant que les ennemis se postaient entre Saint
Amand et Valenciennes, conjectura qu'il n'y avait plus rien
à craindre pour Courtray; c'est pourquoi il vint avec
les Mousquetaires rejoindre le Roi à son
Armée, qui se trouvait en présence des
Ennemis; mais le Prince d'Orange, n'ayant pas jugé
à propos d'en venir à une bataille, se retira,
et la Ville de Bouchain assiégée par Monsieur
Frère de Sa Majesté, se rendit; les
Mousquetaires accompagnèrent ensuite ce Monarque au
Camp de Kiervain, et quittèrent l'armée pour
le suivre à Versailles.
En 1677,
les Mousquetaires firent la plus glorieuse de toutes les
campagnes, il est vrai qu'ils avaient déjà
donné de grandes preuves de leur valeur, tant aux
sièges de Maastricht, Besançon et
Condé, qu'en plusieurs autres occasions; mais ce ne
fut presque rien en comparaison de cette année,
où après avoir eux seuls emporté
Valenciennes d'assaut, ils combattirent avec une telle
intrépidité à la bataille de
Montcassel, qu'ils furent la terreur des ennemis, et qu'ils
acquirent une gloire immortelle: en voici le
détail.
Le Roi ayant résolu
d'assiéger de bonne heure Valenciennes place de
grande conséquence, ordonna aux deux Compagnies de
Mousquetaires de sortir de leurs quartiers dès le
mois de février, afin de se rendre à
l'armée qui s'assemblait à ce sujet, et qui
fut commandée par Louis XIV en personne; y
étant arrivé le 4 mars, le 13 deux Compagnies
conjointement avec les Gendarmes Dauphin, un escadron de
cuirassiers et deux escadrons du Régiment de Tilladet
et de Sourdis sous les ordres du Chevalier de Grignan en
qualité de Brigadier de Cavalerie, furent
relevés de tranchée par les Chevaux
Légers de la Garde; ils avaient pour officiers
généraux de la tranchée le
Maréchal d'Humières, le Comte d'Auvergne
Lieutenant Général, et le Chevalier de
Tilladet Maréchal de Camp: le 14 , la seconde
Compagnie avec les Chevaux Légers Dauphin, les
Gendarmes d'Anjou, un escadron de cuirassiers, trois autres
escadrons de Tilladet, de Sourdis et de Bartillac
commandés par le Marquis de Montrevel en
qualité de Brigadier, fut relever la première
Compagnie, ayant pour officiers Généraux de la
tranchée le Maréchal de Schomberg, le Prince
Palatin de Birkenfeld, Maréchal de Camp, et le
Marquis de Pierrefite, Brigadier d'Infanterie.
La nuit du 16 au 17 qui fut une
époque très remarquable pour les deux
Compagnies, l se tint un Conseil de guerre en
présence du Roi, afin de conclure si l'attaque se
ferait en plein jour ou pendant la nuit, parce qu'on avait
résolu de ne pas se contenter d'un logement sur la
Contrescarpe, mais de tâcher d'emporter dans une seule
fois l'ouvrage couronné; on différa l'attaque
de plusieurs jours, afin de mettre les travaux dans leur
perfection, et pour tâcher d'endommager davantage les
défenses des Ennemis; les sentiments furent
partagés dans ce Conseil, le Maréchal de la
Feuillade et Mr. de Vauban étaient d'avis d'attaquer
les ouvrages pendant le jour, beaucoup de personnes
intelligentes, le Marquis de Louvois, le Roi même
étaient d'un avis contraire: cependant Sa
Majesté reconnaissant l'expérience de Mr. de
Vauban dans ces sortes de choses, après un autre
petit Conseil tenu le 16 approuva ses raisons, et consentit
que l'attaque se fit de jour; comme l serait trop long de
rapporter ce qu'alléguait Mr. de Vauban, il suffit de
dire que l'attaque étant d'une grande étendue,
et que l'Ouvrage qu'on renfermait était en demi rond,
il y avait à craindre le désordre et la
confusion, et qu'il pourrait arriver facilement la nuit
qu'une partie des Français tirât l'un sur
l'autre, afin que les Ennemis seraient plutôt surpris
le jour, ayant fait bonne garde pendant la nuit; les suites
firent voir que Mr. Vauban avait raison.
Il fut donc conclu, non seulement de
faire l'attaque le dix sept mars à neuf heures du
matin, mais encore que les gens commandés pour cela,
coucheraient le soir même à la tranchée;
le Maréchal de la Feillade opina pour le
régiment des Gardes, mais Mr. de Forbin y
résista voulant épargner aux Mousquetaires une
mauvaise nuit avant une action de cette importance;
cependant le Roi faisant réflexion que les quartiers
étaient éloignés, qu'ils pourraient
rencontrer des difficultés pour être
assemblés à l'heure précise; que les
Ennemis en seraient peut-être avertis par les
différentes marches qu'ils auraient à faire de
ce côté, fut d'avis que les Mousquetaires
coucheraient à la tranchée; les deux
Compagnies s'y rendirent donc le 16 au soir et y
passèrent la nuit. Selon la disposition qu'on avait
faite pour l'attaque de cet Ouvrage, les deux Compagnies
furent partagées, les Blancs prirent la droite du
côté des Gardes Françaises ayant
à leur tête une partie des Grenadiers à
Cheval; les Noirs avec encore une partie des Grenadiers
à Cheval prirent la gauche du côté des
Bataillons de Picardie qui joignaient les Gardes
Françaises et environnaient le grand Ouvrage; les
Mousquetaires furent disposés de sorte qu'ils
marchèrent par petits détachements le premier
de 10 hommes commandés par un brigadier, le second de
20 à 30 sous les ordres d'un Maréchal des
Logis, le troisième de 30 à 40 conduit par un
Officier supérieur avec encore des Grenadiers;
ensuite marchaient Mrs. de Forbin et de Jauvelle à la
tête du reste des deux Compagnies, suivis encore de
toute l'Infanterie de la tranchée, la droite fut
commandée par le Marquis de la Trousse Lieutenant
Général de Jour, et le Maréchal de
Luxembourg qui se trouvait aussi de jour à la
tranchée, y commanda en chef, se plaçant entre
les deux attaques, afin de veiller à toutes choses
selon le besoin qu'on pourrait avoir.
Le Signal ayant été
donné à 9 heures du matin par 7 coups de
canon, les Mousquetaires et les autres Troupes sortirent de
la tranchée dans l'ordre que je viens de dire. Le Roi
qui s'était mis dans un lieu à pouvoir
facilement distinguer ce qui se passerait, ne fut pas
longtemps sans découvrir par tout des gens sur
l'ouvrage couronné: les Grenadiers à cheval et
les Mousquetaires y montèrent par les deux
côtés proche de la gorge, laissant
derrière eux les deux demi lunes revêtues, qui
étaient au devant à droite et à gauche;
bientôt après Sa Majesté distingua
parfaitement l'habit rouge des Mousquetaires, qu'ils
étaient dans la demi-lune revêtue au devant du
Pâté enfermé par l'ouvrage
couronné, ce qui parut incroyable; les Grenadiers
à cheval avaient déjà commencé
à marcher, et l'impétuosité avec
laquelle ils attaquèrent les Ennemis; les avait
étonné de telle sorte, qu'il
commençaient déjà à
s'ébranler, quand les Mousquetaires arrivant
achevèrent leur désordre; cette jeunesse tout
à fait passionnée pour la gloire,
n'envisageant aucun péril, suivit de si près
les Grenadiers, qu'elle en culbuta quelques uns ne croyant
pas qu'ils allaient assez vite, passant par dessus pour
joindre plus promptement les Ennemis, qui se
trouvèrent en grande confusion dans l'Ouvrage
couronné et dans la Demi-lune, que la plupart
jetèrent leurs armes pour se sauver tant dans la
Ville que dans la Demi-lune, où les
Assiégés s'étaient retirés;
alors ils y entrèrent par la gorge, et tuèrent
tout ce qui s'opposa à leurs premiers efforts, les
fuyards portèrent un tel effroi parmi la Ville, que
les Corps de garde épouvantés ne songeant plus
qu'à se sauver, abandonnèrent leurs postes
avec tant de trouble, qu'ils laissèrent le guichet
ouvert; les Mousquetaires étant entrés
pêle-mêle avec les fuyards passèrent de
l'autre côté du guichet: mais l'entrée
en ayant été bouchée en un instant par
un monceau de corps morts, ceux d'entre les ennemis, qui ne
se trouvèrent pas assez diligents furent tous
passés au fil de l'épée; les
Mousquetaires qui dans la chaleur avaient passé le
guichet; se trouvèrent enfermés dans le
Pâté entre cet Ouvrage et le Pont levis de la
Ville qui était levé; ils n'étaient pas
50 en tout tant Mousquetaires que Grenadiers et quatre
Volontaires; d'abord ils tuèrent quelque uns des
Assiégés qui ,'ayant pu se sauver dans la
Ville avant que le dit Pont fut levé,
s'étaient cachés dans les gabions qui se
trouvaient dans le Pâté, les Mousquetaires
s'étant aperçus du péril où leur
ardeur les avait engagés, cherchèrent un
chemin pour en sortir; c'est pourquoi deux Grenadiers
après avoir rompu à coups de hache la porte du
degré, donnèrent le moyen aux Mousquetaires de
monter sur une plate-forme qui communiquait aux remparts de
la Ville par une arcade du Pâté, où ils
enfoncèrent aisément une petite porte, et
pénétrèrent par ce moyen jusque sur les
remparts, d'où ils descendirent dans la Place. Les
dix ou douze premiers qui se trouvèrent au bas du
rempart, marchèrent droit au Corps de garde, et le
trouvant abandonné, ils baissèrent le pont
levis.

Prise de Valenciennes - 17 mars 1677
©opyright
Mr. de Moissac, Cornette de la
première Compagnie, après avoir monté
sur les cadavres qui bouchaient le guichet, et grimpé
par dessus la bascule, parvint au pont levis qu'il trouva
baissé; le nombre de ceux qui le suivait
s'étant augmenté insensiblement, il arriva
dans la rue d'Azin, où il vit deux escadrons ennemis
qui venaient de charger le peu de monde qu'il avait avec
lui, et comme il s'était joint à Mr. de la
Barre, Maréchal des Logis, qui commandait un moindre
détachement avec lequel il avait passé le
guichet, avant qu'il n'eut été
embarrassé par les corps morts, ils firent ferme tous
deux avec leur peu de monde à un pont de pierre qui
coupait la rue en deux, et s'y retranchèrent avec
quelques charrettes, pendant que les Mousquetaires que Mr.
de Moissac avait jeté dans les maisons voisines du
pont, tiraient sur ceux qui voulaient en approcher, quelque
uns d'entre eux ayant vu une pièce de canon de la
Ville qui était encore chargée, la
braquèrent contre une troupe de cavalerie qui venait
le long du rempart, les assiégés qui crurent
fermement qu'une partie de l'armée était dans
la Ville, se retirèrent sans oser avancer davantage;
Mr. de Moissac profitant de l'occasion, sortit de son
retranchement, et fit prisonnier Mr. de Nandespich, Colonel
des Dragons, qui commandait la cavalerie de la Place, les
principaux officiers étant accourus à
l'Hôtel de Ville avec le Magistrat, firent battre
incontinent la chamade pour sauver leur vie, et garantir la
Vile du pillage, alors ils entrèrent en quelques
pourparlers avec Mr. de Moissac, qui donna volontiers des
otages et envoya ceux qu'il reçut au Roi, ne risquant
rien parce qu'il se rendait le plus fort dans la Ville, quoi
qu'au commencement il n'eut pas cent hommes avec lui
à cause de la difficulté qu'il se trouvait de
passer le guichet; mais le Maréchal de Luxembourg
ayant fait jeter les corps morts pour le déboucher, y
entra avec des troupes peu après que les
Assiégés eurent battu la chamade, et
commença à son arrivée de faire
désarmer les 1200 chevaux ennemis qui étaient
en bataille sur la place; se saisit des principaux, et fit
avertir le Roi en diligence, S.M. défendit le pillage
qu'il aurait été difficile d'empêcher,
si on avait eut à faire à d'autres troupes
qu'aux Mousquetaires qui n'ont d'autres vues en combattant
que la gloire et l'honneur; pour en donner encore pus
d'intelligence au détail que je viens de faire,
à l'égard du guichet et du pont levis que
quelques uns on prétendu être levé et
d'autres baissé, je rapporterai ici les
particularités curieuses qu'en donne Mr. de Pelisson
dans sa lettre CCXXIX du 27 mars 1677 Tome 3p189, qui fut
lui même reconnaître tous les ouvrages
attaqués, assisté de Mr. de la Barre,
Maréchal des Logis des Mousquetaires blancs, qui
entra des premiers dans la Ville, Mr. de Rivellas autre
Maréchal des Logis du même Corps, que Mr. de
Jauvelle lui avait donné. Voici comme il parle de cet
auteur.
"Il est constant , dit-il, que
l'ouvrage couronné fut pris de deux
côtés par la gorge; les Mousquetaires noirs
avaient moins de chemin à faire, ainsi il est fort
vraisemblable qu'ils entrèrent les premiers, mais
personne ne le peut savoir au vrai; à l'égard
des blancs, ils entrèrent dans la demi lune
revêtue qui couvrait le pâté et la gorge
aussi, car n'ayant fait qu'effleurer, pour ainsi dire,
l'ouvrage couronné, ils trouvèrent un petit
sentier le long de l'eau en un lieu assez escarpé,
qui les mena jusque dans la demi lune, et le même
sentier fut suivi par plusieurs des Gardes qui
étaient descendus dans le fossé, n'ayant pu
laisser le pont qui allait à la demi lune; quand aux
Mousquetaires ils entrèrent aussi par la gorge de
l'ouvrage couronné à leur gauche; ils eurent
un grand feu à essuyer, car ils étaient vus
à revers d'un bastion de la Ville et d'une certaine
lunette revêtue dans le fossé à
côté du pâté et dont je n'ai pas
parlé ci dessus, mais en l'endroit où ils
montèrent, on tirait ou on pouvait tirer sur eux
presqu'à bout portant; ils gagnèrent une
petite guérite où la gorge commençait,
et descendant par là, ils eurent l'avantage de se
trouver sur le pont du pâté sans avoir comme
les blancs à faire le tour de la demi-lune
revêtue, parce qu'elle finissait à ce pont
là, il faut encore ajouter que tous les Mousquetaires
noirs ne passèrent point par là, ce ne fut que
le premier détachement, car à l'égard
du grand nombre qui marchait avec Mr. de Jauvelle, ils
trouvèrent une autre ouverture, c'était un
chemin souterrain, qui passait sous la demi-lune et allait
se rendre fort près de ce pont du pâté,
ils trouvèrent la porte ouverte et entrèrent
par là, et qu'on appelait le guichet, et que j'avais
cru n'être qu'à la dernière porte de la
Ville, était justement la porte de ce pont pour
passer de la demi-lune au pâté; c'était
une clôture de grosses pièces de bois d'une
dureté extrême, l'on passa par ce guichet un
à un, les nôtres faillirent à
s'étouffer les uns les autres, et les morts des
Ennemis bouchaient le passage.
Ce que j'ai dit des échelles
dont on se servit comme de pont est une fable, il est
sûrement vrai que comme le chemin était
fermé par les corps morts et par la foule, quelques
uns se servirent des échelles pour monter au haut de
cette porte ou guichet, et de la descendre de l'autre
côté sur le pont, après quoi on nettoya
le passage.
Il est constant, et tout le monde sait
qu'après le guichet passé, le pont qui passait
sur l'Escaut et allait au pâté, ne fut jamais
levé et qu'on entra delà sans peine, mais
quand au second pont qui passait de ce pâté de
la Ville sur un autre canal ou bras de l'Escaut plus profond
et plus rapide; les uns comme tous les Mousquetaires blancs
et les Grenadiers qui étaient avec eux nous disent
que ce pont était lev, et nous montrent l'endroit par
où ils entrèrent dans la Ville bien
différent du pont, je crois qu'ils disent tous vrai,
mais que chacun représente les choses comme il les a
trouvé; à l'égard des Mousquetaires
blancs, je suis persuadé qu'ils trouvèrent ce
pont levé, parce qu'ils arrivèrent les
premiers et voyant qu'ils pouvaient être
écrasés dans ce pâté du haut du
rempart, ne sachant quel parti prendre et ne voulant pas
reculer, ils s'avisèrent d'une petite porte à
leur gauche dans le pâté, à laquelle on
montait par deux marches de pierre, ils s'y
enfoncèrent et trouvèrent un petit escalier
dérobé dans l'épaisseur du mur, qui
gagnait le haut du pâté, et là deux ou
trois portes encore l'une après l'autre dont parties
étaient fracassées du canon avec une
manière de galerie ou corridor faisant le tour et
aboutissant au rempart de la Ville; Mrs de la Barre et de
Moissac enfilèrent la rue et allèrent
jusqu'à une autre rue appelée le pont d'Azin,
où nous vîmes encore des chevaux et des hommes
morts, c'est là qu'ils se logèrent dans des
maisons, premièrement au bout du pont, puis un peu
plus en arrière vers la porte de la Ville, parce
qu'ils appréhendaient d'être coupés par
le rempart, qui était tout proche, et qu'en se
retirant vers la porte, ils faisaient face du
côté du pont et du côté du
rempart; ce qu'il y a de vrai, c'est qu'avec la même
ingénuosité, quoiqu'ils disent avoir
trouvé le pont levé, ils ne disent pas que ce
soit eux qui l'aient baissé.
Il y eut quelques bruits que
c'était un nommé Ferriere Mousquetaire qui
l'avait baissé, mais l'on ne sait pas encore comment,
d'autres prétendent que les Mousquetaires noirs
passèrent sur une petite muraille qui servait comme
de Garde-fou aux deux côtés du pont-levis, mais
qui était fort pointue par le haut, et que
delà ils surent peut-être baisser le pont,
peut-être qu'étant levé et à la
hâte il se baissa de lui même, ou bien que ceux
de la Ville le baissèrent à ceux des leurs qui
fuyaient, et enfin il me parait rien de moins constant sinon
que les blancs le trouvèrent levé, sans quoi
ils ne se seraient pas donné la peine de chercher un
autre passage et que les noirs au contraire ou la plus
grande partie des noirs et tous ceux qui les suivirent le
trouvèrent baissé.
Ce qui tient u prodige, c'est qu'au 20
mars il n'y avait encore dans la Compagnie des Mousquetaires
blancs que cinq d'enterrés, et deux des noirs, et que
pendant l'attaque il y en avait encore audit jour
marqué, 25 fort blessés, dont les noms ne me
sont pas parvenus; d'un si signalé service, le Roi
commença par récompenser ses Mousquetaires, en
leur donnant tous les chevaux de la Garnison, que Mrs. de
Luxembourg avait pris, comme j'ai déjà dit, et
Sa Majesté donna des nouveaux grades aux Officiers du
Corps."
Mr. de Jauvelle Capitaine-Lieutenant de
la seconde Compagnie, qui avait été
créé Brigadier d'Armée, fut fait
Maréchal de Camp; Mr. le Marquis de Vins
Sous-Lieutenant qui s'était beaucoup distingué
à ce Siège, fut Brigadier d'Armée; Mrs.
de Barriere et de Rigauville eurent commission de Mestre de
Camp; Mr. de Maupertuis Sous-Lieutenant de la
première Compagnie, fut aussi Brigadier
d'Armée, Mrs. de la Hoguette Enseigne, et de Moissac
Cornette, eurent Commission de Mestre de Camp, et tous les
Maréchaux des Logis rang de Capitaine de cavalerie
selon leur ancienneté.
Dès que le Roi eut donné
ses ordres pour la sûreté de Valenciennes, les
deux Compagnies marchèrent avec l'Armée de Sa
Majesté pour investir Cambray, qui le fut le 22 mars.
La première Compagnie en fit
l'ouverture de la tranchée avec les Gardes du Corps,
sous Mr. de Jauvelle en qualité de Brigadier
quoiqu'il fut déjà nommé
Maréchal de Camp; et la seconde Compagnie monta la
garde à la queue de la tranchée le jour
suivant: j'ai donné le détail de ces Gardes au
Journal historique des Gardes du Corps.
Pendant ce Siège les deux
Compagnies furent détachées avec un
régiment de dragons et 8 bataillons, sous
Mr. le Maréchal de Luxembourg, pour
aller renforcer l'armée de Monsieur
frère du Roi qui assiégeait Saint
Moere; dès que S.A. Royale vit arriver le
Maréchal avec son détachement, elle
se mit en marche le 8 avril à la tête
de son Armée, pour aller au-devant des
Ennemis, de sorte que les deux Armées se
rencontrèrent le 10 du même
mois.
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Le 11, jour des Rameaux, Son Altesse
rangea son Armée en bataille sur deux lignes, sa
droite appuyée au Mont d'Aplighen, et la gauche
allait jusqu'à l'Abbaye de Pienne, dont il venait de
s'emparer; la droite était formée des deux
Compagnies des Mousquetaires, et de six escadrons de la
Gendarmerie commandés par Mr. le Maréchal
d'Humières, qui avait sous ses ordres Mrs. de la
Cardonnière Lieutenant-Général, et le
Chevalier de Sourdis Maréchal de Camp.
Le Maréchal d'Humières
ayant commencé la bataille par la droite, fit charger
par la Gendarmerie cinq escadrons de la gauche des Ennemis,
pendant qu'il ordonna aux deux Compagnies des Mousquetaires,
à la tête desquels étaient Mrs. de
Forbin et de Jauvelle de mettre pied à terre, et
d'aller attaquer l'épée à la main deux
bataillons des Gardes du Prince d'Orange, qui étaient
environnés de haies vives, ayant devant eu un large
fossé, il était deux heures après-midi,
quand ces deux Compagnies, composées de la plus
florissante Noblesse du Royaume, capable d'affronter les
plus grands périls, franchirent ce fossé,
malgré leur feu terrible avec une
intrépidité sans égale, les
enfoncèrent d'abord, et les poussèrent assez
lion en bottes, les taillant en pièces jusqu'à
ce que la Gendarmerie arriva, qui les passa tous par les
armes, pendant que les Mousquetaires retournèrent
pour monter à cheval avec une telle vitesse, qu'on
fut obligé de leur envoyer dire de marcher avec un
peu plus de retenue, parce que leur précipitation
faisait croire aux troupes qu'ils avaient été
battus: à peine furent-ils arrivés dans le
verger, où ils avaient mis pied à terre
à la portée du mousquet des Ennemis, qu'ils
remontèrent à cheval et trouvèrent en
poursuivant les Ennemis, un terrain découvert
à huit cent pas sur la droite du moulin, où
l'on pouvait contenir 8 ou 10 escadrons de front; ils s'y
mirent en bataille dans l'espoir que la cavalerie ennemie
viendrait les charger, parce qu'il y avait deux gros
bataillons, soutenus sur le flanc de quatre autres
vis-à-vis des deux Compagnies des Mousquetaires
derrière de grands fossés et des haies,
où la cavalerie ne pouvait passer, ils leur firent
trois ou quatre salves de fort près, qui
ôtèrent la vie à Mr. de Moissac Cornette
de la première Compagnie, et à 7 à 8
Mousquetaires, de sorte que ce poste leur paraissant trop
dangereux pour y rester, et attendre les ordres des
Généraux qui ne paraissaient pas, ils allaient
cependant toujours charger, quand le Maréchal
d'Humières parut qui les arrêta, ils
demeurèrent toujours exposés sans pouvoir se
défendre jusqu'à ce que Mr. de la Cardonniere
vint leur faire faire volte face, afin de marcher au-devant
de 3 à 4 mille chevaux qui allaient sur leur droite,
pour les prendre par derrière, ou pour se jeter dans
St. Omer; ce mouvement était dangereux pour les deux
Compagnies, qui ne pouvaient se retirer que par des
défilés à la vue des deux Bataillons
qu'ils avaient en tête; mais se voyant couvert par
deux escadrons qui restèrent en bataille, sur
lesquels ils sortirent, les deux Compagnies eurent le temps
de continuer leur chemin, pendant que d'autres troupes
tombant sur les deux Bataillons, et les quatre qui les
soutenaient, les taillèrent en
pièce.
Les choses n'étaient pas en si bon
état à la gauche des Mousquetaires, car le
centre ayant été enfoncé, il n'y eut
que la présence de Monsieur, qui fut capable de
rétablir le combat en ce lieu; je parlerai plus
particulièrement de ce qui se passa au centre dans le
Journal des Gardes Françaises; dès que ceux
que j'ai dit, qui étaient venus pour prendre les
Mousquetaires par derrière, les virent aller au
devant d'eux, et eurent remarqué le désordre
de leur droite, ils jugèrent pour lors, qu'il
était de leur prudence de faire volte-face, et de se
retirer sur leur gauche sur le chemin d'Ipres, Monsieur
défendit de les poursuivre, et il n'y eut que le
Maréchal de Luxembourg, qui le fit avec 8 escadrons
jusqu'à une lieue et demie par delà
Montcassel, et ne s'arrêta qu'au milieu de la nuit; le
lendemain Son Altesse Royale écrivit aux Commandants
des deux Compagnies pour les faire revenir occuper leur
poste; il donna dans sa lettre beaucoup de louanges aux deux
Compagnies, en voici les termes, "qu'ils avaient
ébauché la victoire et donné pour ainsi
dire le branle à toute l'affaire; en effet ils en
virent les fruits à leur arrivée, savoir 60
drapeaux ou Étendarts, 2 mille cinq cent prisonniers,
14 pièces de canon: les Deux Compagnies outre la
perte de Mr. de Moissac, dont j'ai parlé, eurent 25
ou 30 Mousquetaires tant tués que blessés, se
trouva le Comte du Luc, qui eut un bras emporté; le
Roi le fit en sortant de la Compagnie Capitaine de ses
Galères, il à été depuis
Ambassadeur auprès de Sa Majesté
Impériale à Vienne; les Mousquetaires qui
furent les plus heureux de l'Armée, eurent en
revanche beaucoup de chevaux tués; les deux
Compagnies campèrent sur le Champ de Bataille
jusqu'à la rédition de St. Omer; furent
ensuite rejoindre le Roi, le suivirent à Dunkerque et
à Calais après la prise de la Citadelle de
Cambray, et au delà au Camp de Kiervain, où
elles passèrent en revue devant Sa Majesté au
mois de mai.
Ce Monarque ayant formé le dessein
dans ce camp de quitter l'Armée, et d'envoyer des
troupes en différents endroits, 18 escadrons de la
Maison du Roi ou de la Gendarmerie eurent ordre de prendre
la route de Metz, pendant que les deux Compagnies des
Mousquetaires et les Grenadiers à cheval se rendirent
à Ath sous les ordres du Maréchal de
Luxembourg, qui les réservait pour les jeter dans les
places menacées de siège; il ne restait aux
deux Compagnies pour mettre comble à leur gloire, que
d'être employées à la défense
d'une place, s'étant déjà
signalées tant à l'attaque d'une Ville qu'en
bataille rangée; si elles n'eurent pas cette
année tout à fait cette satisfaction, du moins
eurent-elles l'avantage de mettre la terreur dans
l'Armée ennemie, sans même se monter à
eux; en effet les Mousquetaires ne furent pas plutôt
arrivés à Ath, qu'on les envoya dans la ville
d'Armentières, ensuite à Oudenarde, places
pour lesquelles on craignait; mais dès que le
Maréchal de Luxembourg fut informé que le
Prince d'Orange en voulait à Charleroy, il ordonna au
Marquis de Jauvelle de ne pas perdre un moment de temps pour
s'y rendre avec 150 Mousquetaires de sa Compagnie et celle
des Grenadiers à cheval; Mr. de Jauvelle fit une
diligence si extraordinaire, qu'il arriva en 30 heures sans
avoir fait halte qu'une seule fois; à peine ce Corps
de Troupes fut-il entré dans cette place que toute
l'Armée ennemie commandée par le Prince
d'Orange vint l'investir le 4 août; cette place
était d'une si grande conséquence (parce qu'il
n'y avait point d'autre passage pour secourir Maastricht, ni
pour maintenir la communication avec cette Ville) que pour
cette jeune noblesse voyant l'importance de ce poste se
préparait déjà à une vigoureuse
résistance, quand l'épouvante se mit dans
l'Armée du Prince d'Orange, l'empêcha de
persister à faire le siège de cette Ville; il
le leva le 14 dudit mois avec une si grande confusion, qu'il
y eut des contestations parmi eux à qui ferait
l'arrière-garde, tant ils craignaient les
Mousquetaires qu'ils savaient être dans la place;
toutes les troupes ennemies en décampèrent si
subitement, que les Mousquetaires qui étaient sortis
de la place à dessein de se signaler, ne purent
jamais les rejoindre quelque diligence qu'ils fissent. Telle
fut la fin de la Campagne qui acheva de les couvrir de
Lauriers, ils retournèrent dans leurs quartiers.
...
Jean-Louis
Vial
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