Essai sur les tentes et les campements militaires
sous l'Ancien Régime


par J-L Vial

Reprenant Feuquières qui écrivait dans ses mémoires à propos des bagages " les romains les nommaient "impedimenta" c'est à dire embarras, ils sont cependant d'une nécessité indispensable". Les tentes de l'armée font partie de ces "impedimenta" .

On a du mal à imaginer ce que pouvait être la vie pendant les campagnes militaires, en période de mauvais temps; de pluie, du froid ou encore de fortes chaleurs ...

Si l'on en croit le Père Daniel dans son traité de la Milice Française, c'est à partir des années 1670 que l'installation des campements de l'infanterie devint plus régulière, avec rues tirées au cordeau et tentes alignées: "Monsieur Martinet en 1670 fut fait Colonel du régiment (Du Roy). Il fut tué au siège de Duesbourg en 1672. C'est lui dont le Roi se servit principalement pour règler et discipliner l'Infanterie Françoise. Alors l'uniforme fut introduit pour les habits dans tous les régimens: les camps devinrent plus réguliers: on les partagea en ruës tirées au cordeau, les faisceaux d'armes à la tête des bataillons." P.Daniel T1p398

Des tentes du Roi, de l'État-Major et des Officiers:

Sous l'Ancien Régime, il n'y a pas de texte qui règle la taille et l'aspect ... des tentes des officiers il faudra donc s'en tenir aux nombreuses gravures, peintures... et les très rares textes pour estimer la taille et la décoration de ces tentes.

Ces tentes sont très hautes de 4 à 5 m au faîte, elles sont de forme rondes, rectangulaires ou carrés, parfois hexagonales. Le plus souvent en toile unie ou marquée de rayures verticales de couleur.
Le bord du toit est très souvent festonné garni de franges et de pompons.

 

Dans la peinture ci dessus la tente royale comprend un chapiteau central et des ailes latérales, notons tout de même que l'artiste a reproduit ici d'un camp destiné à une revue militaire, mais quand on voit le luxe de la Maison du Roi en campagne on peut penser qu'il devait sans doute être tout aussi fastueux.

Voici un des rares textes qui parle d 'une tente destinée au Roi, il est tiré de la Gazette de Hollande: 11 juillet 1735 "on vient de faire pour le Roi une très belle tente, dans laquelle il y a plusieurs chambres. Elle est doublée de damas vert et l'on doit y ajouter des galons et des crépines d'or. Le Roi s'en servira la campagne prochaine."

 

L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert donne quelques exemples de matériels pliables comme les lits.

Des tentes de la troupe

Infanterie

A propos du régiment Du Roy voici ce qu'écrit le Père Daniel : "Le Roi voulut qu'a cette revue les Officiers eussent des cuirasses et les tentes peintes avec des trophées, dont M. le Marquis Dangeau fit la dépense. Tous les officiers avoient pour uniforme des juste au corps brodés en or et en argent. En 1677 pendant la campagne, le Colonel faisait porter sur huit chariots qui étoient à lui, les tentes des Officiers. Les Soldats avaient une tente par chambrée, peintes aussi avec des trophées."

Chenevières précise " comme toutes les tentes de l'infanterie ne sont pas toujours égales, s'il arrive que quelques régiments par la grandeur de ses tentes ne puisse pas placer son cul-de-lampe dans l'espace de la petite rue alors on prendra un pied de chaque coté de la grande rue".

L'instruction du 17 février 1753 article 3 nous donne les mesures des tentes de l'infanterie, il semble que ce soient la première instruction qui fixe des dimensions de façon règlementaire:

10 pieds 4 pouces (3m 35) de long compris le cul de lampe, 6 pieds (1m 95) de large et 5 pieds 8 pouces (1m 84) de haut elles sont soutenues par deux fourches de 10 pieds et une traverse de 8 pieds et tendues par 21 petits piquets, le nom du régiment doit être inscrit en noir sur la toile.
Ces tentes qui ne sont pas très grandes doivent pouvoir loger huit soldats, dans la pratique elles en abritent moins; il y a toujours dans chaque compagnie des soldats en service, absents ou malades.

Un sergent compte pour deux soldats, l'un campe dans la première tente et l'autre dans la dernière de sa compagnie

Puységur dans son Art de la Guerre donne une planche qui montre comment faire coucher neuf soldats sous une tente qui fait huit pieds quarré non compris le cul de lampe (abside) et 7 pieds (2m 27) de haut, il les préfère en toile huilée qui bien que plus lourdes protègent mieux de l'humidité.

Cette gravure nous permet d'apprécier les conditions rudimentaires du couchage du soldat de l'Ancien Régime.

"Pour un bataillon il faut donc 7 tentes pour la compagnie de grenadiers, 96 tentes pour les 16 compagnies de fusiliers et 3 tentes pour les tambours qui campent à part, soit un total de 106 tentes pour la troupe.

Représentation d'un campement de l'infanterie vers 1760 in NPI N°1

Cavalerie

La tente est faite de toile posée sur deux fourches et une traverse d'environ 6 pieds de long (1m95), la toile est maintenue tendue au sol par 20 petits piquets et de petits anneaux de corde. La cavalerie abrite ses équipages sous la tente.
Le
Père Daniel signale dans son traité que les tentes des carabiniers ont du bleu sur leur faîte.

Il y a sept tentes par compagnies, soit 56 tentes pour le régiment. Une pour le maréchal des logis et six pour les cavaliers à raison de 6 hommes par chambrée.

Sur ce tableau d'un campement lors de la prise de Dole en 1674, c'est le camp d'un régiment de trois escadrons de cavalerie dont on voit les tentes de la cavalerie avec la grande rue ou sont le chevaux, en arrière plan les tentes des officiers

L'instruction du 22 juin 1755 dote chaque chambrée d'une marmite, une gamelle, un baril, une hache, une pioche, une pelle et une serpe. Il y a par escadron un cordeau de 56 pas de longueur pour marquer le front du camp et un autre de 36 pas pour en marquer la profondeur.

Il y a aussi par compagnie 2 fanions de campement fait de 2 piques de bois de 7 pieds de haut peintes de blanc ferrées à la partie inférieure et ayant à l'autre extrémité une banderole aux couleurs affectées à chaque régiment.

Dragons

L'instruction du 17 juin 1756 règle le service des dragons réunis dans les camps d'instruction. Les dragons campent de la même façon que la cavalerie, mais avec des caractéristiques propres à l'infanterie.

Représentation d'un campement de dragons vers 1760 in NPI N°5

Le baraquement et les quartiers d'hiver:

Pendant la mauvaise saison, les hostilités sont suspendues, se limitant à des escarmouches de hussards ou de troupes légères.

Pendant cette période " les troupes se baraquent " c'est à dire qu'elles logent dans des construction rudimentaires en bois.
Ces baraques sont faites sur un terrain long de 7 à 8 pieds, et large de 6 à 7, "on plante 4 grosses fourches qui portent quatre gros bâtons mis de travers pour soutenir la couverture qui est de paille ou de branche aussi bien que la cloison".

On en construit également sur le même modèle pour les chevaux qui mesurent 4 pieds de large par 10 pieds de long. Les cavaliers sont tous logés en deux rangs et les chevaux aussi mais il doit y avoir entre les baraques et les écuries une rue large de 8 pieds.

Lors l'hiver 1759-1760, l'arrivée précoce et abondante de la neige n'ayant permis la construction suffisante de baraques, les soldats alternaient un jour sur deux le couchage en tente et en baraquement.

L'intendance est chargée de fournir le bois de chauffage, l'huile et les mèches pour les lampes.

Le transport des tentes:

Dans son dictionnaire La Chesnaye indique " Dans plusieurs régiments les soldats font porter leurs tentes par des bidets qu'ils achètent du restant du dernier prêt du mois de février que le Roi paye pour trente jours. Dans d'autres, ils en chargent le vivandier de la compagnie qu'ils payent dix sols chacun en rentrant en quartier d'hiver, les tentes appartiennent à la fin de la campagne au vivandier.

Lorsqu'une troupe part d'un lieu pour aller dans un autre, par les ordonnances du 4 juillet 1716 et du 18 avril 1718 , on doit lui fournir des voitures à raison de trois chariot ou charrettes attelées chacune de quatre chevaux pour un bataillon, et d'un chariot ou charrette par escadron pour porter les malades et les bagages. Et d'un chariot d'augmentation par bataillon et un pour 2 à 3 escadrons pour le transport des tentes.Ces chariots et charette sont payées à raison d'un sol par cheval , ces voitures ne servent pas plus d'un jour. Interdiction d'y fournir une escorte armée.

D'après les ordonnances du 4 juillet 1716 et du 8 avril 1718, lorsqu'une troupe décampe pour un autre lieu l'intendance doit veiller à fournir trois charriots ou charrettes attelés de quatre chevaux par bataillon d'infanterie et une charrette par escadron de cavalerie pour le transport des malades et des bagages et d'un charriot d'augmentation par bataillon ou escadron pour le transport des tentes.

 

Jean-Louis Vial